L’image par la parole (À flux détendu)

Avec État commun, conversation potentielle [1] , Eyal Sivan brise les frontières, autant sur le fond que dans la forme.

Christophe Kantcheff  • 10 octobre 2013 abonné·es

Ceci est un film d’anticipation. Ce qui n’est pas courant pour un documentaire, le plus souvent contraint de filmer le réel au présent, parfois pour ressusciter le passé, mais rarement pour figurer une utopie. C’est pourtant le cas d’ État commun, conversation potentielle [1] , d’Eyal Sivan. Le réalisateur de Route 181 a décidé de briser les frontières, autant sur le fond que dans la forme. Son projet : faire participer des intellectuels, au sens large (chercheurs, militants, journalistes, hommes politiques…), à une vaste conversation entre juifs israéliens et Palestiniens, d’Israël comme des Territoires. Conversation impossible dans la réalité, mais concevable au cinéma : Eyal Sivan a filmé chacun des participants non seulement s’exprimant mais aussi écoutant le propos des autres. Par la grâce du montage, il montre une parole qui passe des uns aux autres, l’écran étant séparé en deux, à gauche les Arabes, à droite les juifs. Une séparation ? À cette différence près que le locuteur et le récepteur sont inscrits dans le même cadre : l’écran. L’écran est le territoire cinématographique commun à ces intellectuels, et en même temps le symbole de la thèse majeure du film, que la plupart des intervenants partagent : la solution au conflit israélo-palestinien n’est pas la reconnaissance d’un État palestinien, qui induirait une séparation et un transfert de population, mais l’instauration d’un seul État traitant à égalité tous ses citoyens, un État en partage, donc. Utopie, disions-nous. Israël, et les Israéliens, est loin de pouvoir accepter une telle voie. Mais Eyal Sivan assume cette « vue de l’esprit ». État commun, conversation potentielle [1] se propose précisément de forger, par le concert des paroles, des représentations nouvelles et minoritaires, de les rendre possibles dans l’imagination pour, à (long) terme, qu’elles puissent influer sur la réalité. N’est-ce pas là ce qu’on attend des cinéastes ?

Culture
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