Open Bar : un contrat politique

Une branche du ministère de la Défense et Microsoft ont signé en 2009 un contrat opaque de gestion du matériel informatique.

Politis  • 23 octobre 2013
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Open Bar : un contrat politique

L’April, association de défense du logiciel libre, tente d’alerter depuis le début de l’année sur le contrat « Open Bar », signé dans la plus grande opacité en mai 2009 entre Microsoft et la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI) du ministère de la Défense. Il s’agit d’un contrat-cadre, qui devait être renouvelé en mai 2013, passé sans appel d’offres ni mise en concurrence, permettant pendant quatre ans un droit d’usage – avec option d’achat de licences – sur l’ensemble du catalogue des produits Microsoft.

Officiellement, cet accord avait pour but de remettre à niveau les postes du ministère tournant avec un système d’exploitation et des logiciels Microsoft, et de favoriser l’interopérabilité du système d’information de l’armée française avec ceux de l’Otan, qui a elle aussi choisi Microsoft. Coût de l’opération : 100 euros HT par poste et par an, pour 188 500 postes la première année (pouvant aller jusqu’à 240 000 postes), soit des dizaines de millions d’euros pour de la simple location de logiciels.

Le contrat incluait également la création d’un centre de compétences Microsoft, implanté dans les locaux même de la DIRISI, chargé de l’installation et de la maintenance du parc. Une clause qui fait dire aux associations du Libre que le ministère sera sous la tutelle de la firme de Redmond et qu’il y aura ensuite peu de chance d’inverser la vapeur.

Selon l’historique publié sur le site de l’April, tout commence en 2007 par une lettre de la Direction générale des services d’information et de communication (DGSIC). Elle souhaite un « guide pour la mise en place de partenariats avec les éditeurs de logiciels » et souligne l’intérêt pour le ministère de la Défense d’établir avec Microsoft une « relation privilégiée ».

Dès juillet 2007, un comité de pilotage est chargé d’étudier la proposition « Open Bar » de Microsoft. Un groupe de neuf experts, issus de différents départements du ministère (DGSIC, état-major, secrétariat général de l’administration, etc.), publie en janvier 2008 un rapport d’analyse des risques très critique. Dans ce document, que l’association a fini par obtenir au terme d’une procédure auprès de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), les experts soulignent que «  la mise en œuvre de la quasi-totalité des produits Microsoft rend le ministère vulnérable car le maintien de notre système serait entièrement dépendant de la bonne volonté du seul État américain   » , ** ou encore ** que « la généralisation de tous les produits Microsoft à l’ensemble du SIC entraînera une accoutumance de l’ensemble du personnel aux seuls produits Microsoft, renforçant son emprise sur le ministère   » et concluent que, « compte tenu des risques élevés et du surcoût par rapport à la situation actuelle, le groupe de travail déconseille la contractualisation sous forme de contrat global, sauf à le limiter au périmètre de la bureautique » . Un avertissement qui n’a pas été suivi.

Interrogé en 2010 par le député Bernard Carayon sur l’absence d’appel d’offres et le risque d’ « une uniformisation totale des systèmes d’information du ministère de la Défense par l’utilisation exclusive de logiciels Microsoft » , le ministre de la Défense de l’époque, Hervé Morin, soutient que tout a été fait dans les règles, avec avis favorable de la commission des marchés publics. Pourtant, le rapport préalable rendu par cette commission mettait lui aussi de nombreux bémols à la conclusion de ce contrat avec une société dont, soulignait-il, on ne peut ignorer la position de monopole et les pratiques anticoncurrentielles alors sous le coup des procédures de la Commission européenne. Notant que le contrat était, sans précision, extensible à de nouveaux produits, le rapporteur s’interrogeait : «  Quel est l’objet réel du marché, autre que celui d’accepter pour le présent et pour l’avenir le catalogue de Microsoft ?  »

Pour l’April, «   c es documents montrent que le choix d’un contrat Open Bar fait bien suite à une décision politique qui a visiblement été prise en amont des études sur la faisabilité et les risques   » . Le fait que Jean-Marc Ayrault se soit déclaré en faveur du logiciel libre ne semble pas avoir changé quoi que ce soit. Selon Frédéric Couchet, délégué général d’April, le contrat aurait été reconduit malgré deux rapports contraires, voire étendu à au moins un autre ministère, et la mise en place d’une solution libre en parallèle, évoquée jadis par Hervé Morin, serait restée lettre morte.

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