Profondeur de chant

Avec Manuel El Negro , David Fauquemberg rend un bel hommage au flamenco des Gitans d’Andalousie.

Jérémie Sieffert  • 17 octobre 2013 abonné·es

Manuel El Negro était « cantaor », chanteur de flamenco, parmi les plus grands. Un homme « sans double fond » qui se livre corps et âme. Un personnage imaginé par David Fauquemberg pour son troisième roman, mais plus Gitan que nature. À travers les yeux admiratifs du guitariste Melchior de la Peña, l’auteur raconte l’ascension du duo, des trottoirs du quartier de Santiago, à Jerez de la Frontera, jusqu’aux plus grandes scènes puis à la séparation. Manuel El Negro est avant tout l’histoire d’une amitié scellée par la passion du « cante jondo », le chant profond, mémoire des Gitans d’Andalousie. Un chant exigeant hérité des « vieux » du barrio, et qui faisait dire à Tía Anica la Piriñaca : « Quand je chante, j’ai le goût du sang dans la bouche. » Un chant qui ne se donne pas du bout des lèvres mais de toute son âme, et qui consume aussi bien l’interprète que son auditoire.

Avec une plume aux formes espagnoles et une quantité impressionnante d’anecdotes réelles et poétiques sur les flamencos d’hier et d’aujourd’hui, David Fauquemberg régale l’aficionado et initie le profane à la complexité de cet art si secret et si souvent fantasmé. Il trouve les mots justes pour évoquer cet existentialisme gitan et l’universalité des sentiments qu’il génère. Il ne craint pas non plus d’en expliquer les codes : la primauté du rythme, le respect de « ceux qui savent » le chant, l’immense variété des genres, dont les plus graves, telle la soleá, sont de véritables face-à-face avec la mort.

Il y a sans aucun doute du Camarón de la Isla, véritable star, disparu en 1992, dans le personnage de Manuel El Negro. Mais point de Paco de Lucía dans celui de Melchior, guitariste ascétique et « sans génie », mais dont le respect du chant et l’amitié pour Manuel en font un gardien du temple. Avec lui, on découvre les grands maestros classiques, longuement décrits et cités. Des figures que le lecteur pourra librement écouter. Mais le monde a changé. En Espagne, « le petit chef à moustaches a rendu la clé ». La modernité est arrivée, et avec elle l’argent et la drogue. Les vieux sont morts et les jeunes perdent la mémoire. Restent les succès faciles et les espagnolades tape-à-l’œil. Le chant consumera Manuel comme il a consumé Camarón, mais pas avant un ultime mano a mano avec Melchior, et avec la soleá.

Littérature
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