Se soigner n’est pas un luxe

La sénatrice Aline Archimbaud a remis quarante propositions au Premier ministre pour des changements « urgents et à notre portée » afin de garantir l’accès aux soins des plus démunis.

Ingrid Merckx  • 3 octobre 2013 abonné·es

La fraude à la Sécurité sociale ne représente que 0,021 % du déficit du régime général en 2011. C’est ce que rappelle la sénatrice de Seine-Saint-Denis Aline Archimbaud (EELV) dans son rapport de mission sur l’accès aux soins des plus démunis, commandé en mars par le Premier ministre et remis le 24 septembre. La chasse aux fraudeurs ne permettra donc pas de redresser les comptes. Par ailleurs, sur les 4,7 millions de personnes éligibles à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), le taux de non-recours est de 15 %. Concernant l’aide à la complémentaire santé, accessible à ceux dont le revenu est inférieur à 716 euros par mois, ce taux est de 1 million sur 3,6 millions de concernés. Idem pour l’aide médicale d’État (AME). Le scandale n’est pas du côté que l’on croit. Les dispositifs censés favoriser l’accès aux soins dissimulent des procédures kafkaïennes. « Les gens ne sont pas informés, ne trouvent pas d’interlocuteurs, ne savent pas où s’adresser… Les plateformes téléphoniques, c’est l’horreur. Et les documents sont impossibles à remplir, s’offusque la sénatrice. Le dossier de CMU-C, par exemple, fait douze pages que je ne saurais pas remplir moi-même ! »

Du côté de l’AME, ça n’est guère mieux. Le rapport d’Aline Archambaud fait état de « questionnaires abusifs ». « Des associations doivent faire du coaching pour aider à déjouer les pièges. Par exemple, les étrangers sont poussés à dire qu’ils sont venus en France pour se soigner ! » Parmi ses « quarante propositions pour un choc de solidarité [^2] » : la fusion de la CMU et l’AME. Mais le contexte anti-Roms lui laisse peu d’espoirs sur ce point. Plus globalement, la sénatrice défend « un choc de simplification radical ». « Les gens nous disent : “Ça fait quatre fois que j’envoie mon dossier, je n’ai ni reçu ni réponse, on me redirige vers La Poste…” La loi stipule que, sans réponse dans les deux mois, le droit est acquis. Mais, dans les faits, des gens restent six mois sans pouvoir se soigner ! Ils passent leur temps à renvoyer des dossiers qui peuvent contenir jusqu’à cent pièces. Tout est fait pour les décourager ! » Elle propose de s’en tenir à un seul document : le relevé fiscal de l’année passée, et réclame une connexion entre la Cnaf et la Cnam. « 30 % des bénéficiaires du RSA n’ont pas la CMU alors qu’ils y ont droit ! » Après avoir auditionné 240 personnes, Aline Archimbaud dresse « un constat sévère » : 8,7 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 977 euros mensuels. *« La précarité se développe. On pense à des clochards ou à des gens vivant dans des cartons, mais c’est une vision datée : nous avons rencontré beaucoup de travailleurs pauvres. Les salariés gagnant 978 euros par mois n’ont droit à rien et ne peuvent s’offrir une complémentaire. Ils renoncent aux soins. Même problème pour des retraités qui ont cotisé quarante ans, vivent avec 1 000 euros par mois et se sentent abandonnés. »

Autres populations touchées par les effets de seuil : les handicapés (bénéficiaires de l’AAH) et les personnes âgées (bénéficiaires de l’APA), à qui la sénatrice voudrait élargir la CMU. « C’est une mesure assez chère : 1 milliard d’euros, mais ces deux catégories sont à 60 et 70 euros seulement au-dessus des plafonds. Et, si elles se soignent, cela économise des dépenses à venir. » Une mesure qui ne coûterait rien, en revanche : généraliser le tiers payant sans dépassement d’honoraires. « Marisol Touraine a fait une annonce la semaine dernière, et je m’en réjouis, mais elle propose d’accorder cette mesure aux familles modestes à la fin de l’année prochaine et aux autres en 2017, alors que je la défends dès maintenant pour tout le monde. » Définir des « parcours de soins tiers payant », renforcer les lieux qui accueillent les précaires, durcir les sanctions pour refus de soins, rembourser les ordonnances des médecins scolaires et de PMI, accompagner les victimes en justice, proposer des bilans de santé gratuits et des systèmes de rémunération forfaitaires… Sur les quarante propositions, certaines relèvent du projet de loi de finances de la Sécurité sociale, d’autres du plan d’action contre la pauvreté ou de la loi de santé publique de 2014, d’autres encore de la Cnam ou de circulaires internes… L’impact sera difficile à suivre. Mais Aline Archimbaud est déterminée : « Je n’ai pas écrit un rapport pour qu’il aille dans un tiroir. Je suis satisfaite de l’écoute que j’ai reçue pour l’instant. Maintenant, il faut des actes. Je serai très vigilante. »

[^2]: Voir le rapport sur les sites du gouvernement et du Sénat.

Société Santé
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