Témoignage au cœur de la révolution syrienne

Depuis Alep, où il vient de séjourner, Jean-Pierre Filiu interpelle les opinions occidentales.

Denis Sieffert  • 31 octobre 2013 abonné·es

« L à-bas, des civils et des combattants ne comprennent pas que nous ne comprenions pas. » Cette phrase sonne, sous la plume de Jean-Pierre Filiu, comme un cri de colère en épilogue d’un livre qu’il faut lire absolument si l’on veut comprendre ce qui se passe en Syrie. De retour d’Alep, la grande ville du nord-ouest du pays, où il a séjourné en juillet dernier, l’universitaire arabisant, grand connaisseur de la région, nous propose un témoignage unique depuis le cœur de la révolution. Un témoignage et un plaidoyer. Car, Jean-Pierre Filiu le dit, et parfois le hurle, les pays occidentaux doivent aider la rébellion, non seulement à faire tomber le régime de Bachar al-Assad, mais aussi à éviter que les islamistes ne prennent le pouvoir en son sein. Il montre les effets désastreux de l’inaction occidentale, qui a permis une féroce répression dès les premiers jours des manifestations pacifiques, puis l’inévitable militarisation de la rébellion et l’arrivée des islamistes.

Car c’est dans cet ordre que les étapes de la tragédie syrienne se sont déroulées. Et la chronologie n’est pas anodine puisque ce n’est que dix mois après le début du soulèvement qu’apparaît le front Nosra. Un groupe islamiste qui sera bientôt affilié à al-Qaïda, et dont la seule évocation alimente dans nos régions tous les amalgames, au point de faire perdre de vue l’essentiel d’une révolution. Par un foisonnement de choses vues, Filiu brosse un tableau palpitant de vie, de souffrances et de mort. Il attire notre regard sur ce qui est caché ou oublié : la résistance civile et citoyenne. Celle des conseils révolutionnaires qui organisent la distribution de vivres dans les quartiers ; celle des coordinations locales et des fédérations de comités qui ne veulent rien céder au régime mais résistent aussi à ces « chefaillons de guérilla », pillards ou complices de gangs qui s’adonnent à la rapine. Car, finalement, plus que les « islamistes » qui focalisent en France notre attention, ce sont peut-être ces profiteurs qui menacent la révolution. Jamais Filiu ne dissimule cette part d’ombre, mais il nous met en garde contre la tentation bien de chez nous de renvoyer dos à dos une révolution évidemment imparfaite et le régime. Ceux qui auraient cette tentation liront les lignes que Filiu consacre à la reprise de Salaheddine, une zone de HLM au sud-ouest d’Alep, par les troupes de Bachar, en juillet 2012 : les blindés russes qui, en pleine ville, « crachent leurs obus à tir tendu », les avions Albatros « qui larguent des charges d’une demi-tonne », et les Mig qui parachèvent ce « déluge de mort ». Jamais sans doute un dictateur n’a usé de tels moyens de guerre contre son peuple.

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