Un tragique remords (À flux détendu)

Le Chemin des morts , de François Sureau, un texte d’une force incroyable.

Christophe Kantcheff  • 17 octobre 2013 abonné·es

Les a priori sont faits pour être déboulonnés. Je n’avais jamais lu François Sureau, pensant qu’il s’agissait là d’une littérature trop bien plissée. L’un de ses romans a remporté le Grand Prix du roman de l’Académie française, un autre le Prix des écrivains croyants : je tenais cela pour des signes. Et le Chemin des morts paraît (Gallimard, 55 p, 7,50 euros). Il ne s’agit pas d’un roman mais d’un récit et l’ouvrage est un mince volume. Mais ce texte est d’une force incroyable. L’auteur-narrateur retourne trente ans plus tôt, au début des années 1980. Jeune juriste, François Sureau vient d’entrer au Conseil d’État « en qualité d’auditeur de deuxième classe ». Rapidement, il intègre la commission des recours des réfugiés, qui attirait peu de volontaires, mais qui, lui, le passionne. « Le vent de l’histoire passait entre les articles.  » Un jour, il doit statuer sur le cas d’un Basque espagnol vivant en France, ex-militant de l’ETA, « mais plus encore de l’antifranquisme », auquel l’État français a décidé de retirer le statut de réfugié politique, l’Espagne étant devenue une démocratie. Cet homme, répondant au nom d’Ibarrategui, frappe le jeune juriste lors de l’audience par sa dignité et la gravité de ses propos. Ibarrategui annonce qu’au cas où sont recours serait refusé, il ne vivrait pas en clandestin en France et retournerait en Espagne où il serait exécuté, car les polices parallèles continuent à y œuvrer. François Sureau, avec une terrible honnêteté, explique comment, en droit, il n’a pu reconsidérer le contenu de l’arrêt qu’il avait préparé avant l’audience : le recours d’Ibarrategui fut rejeté. Il fut tué peu de temps après son retour en Espagne. « Le souvenir d’Ibarrategui ne m’a jamais laissé en repos », écrit François Sureau, qui a écrit le Chemin des morts dénué de l’espoir d’en finir avec ce brûlant et tragique remords.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes