Annick Coupé : Comment répondre à la colère ?

Selon Annick Coupé, le mouvement antifiscal actuel témoigne d’un mécontentement du monde du travail vis-à-vis des renoncements du gouvernement, hélas récupéré par le Medef ou l’extrême droite. Les syndicats doivent reprendre la main.

Thierry Brun  • 21 novembre 2013 abonné·es

Le 23 novembre aura lieu une journée de mobilisation en Bretagne à l’appel de l’ensemble des organisations syndicales, excepté FO. L’Union syndicale Solidaires en Bretagne, impliquée dans ce mouvement, dénonce le Medef et la FNSEA, « qui ont réussi la prouesse de prendre la tête et de canaliser la révolte des populations à leur profit ». Les syndicats estiment insuffisant le pacte d’avenir pour la Bretagne et souhaitent un « volet social qui prenne en compte l’urgence des situations ». De son côté le mouvement des « bonnets rouges » organise une nouvelle manifestation contre l’écotaxe le 30 novembre.

Comment expliquer que les organisations syndicales aient été peu réactives face au climat social actuel ?

Annick Coupé : Derrière ce qui est présenté comme un ras-le-bol fiscal touchant différentes catégories, il y a le sentiment que, plus on paie d’impôt, moins ça va. On ne voit pas à quoi servent ces contributions en termes d’amélioration des biens communs, d’accès aux services publics, de politiques de l’emploi, etc. Il y a aussi le sentiment d’un renoncement fort du gouvernement face aux exigences du patronat, de la Commission européenne, des marchés financiers… C’est un renoncement permanent depuis un an et demi ! Cela a pour conséquence un désaveu de la politique. Les alternatives de gauche ne sont pas entendues, elles n’apparaissent pas crédibles. Le discours sur le « moins d’impôts », confus mais sur des bases libérales, est celui que l’on entend le plus, tout comme celui sur l’immigration Dans ce contexte, un certain nombre d’organisations politiques et sociales, comme le Front national et ses réseaux et, dans un autre registre, le Medef, la FNSEA et l’UPA (Union professionnelle artisanale) surfent sur ce sentiment, dans la confusion générale. Notre problème est que la colère du monde du travail ne se soit pas exprimée sur des thématiques comme la contre-réforme des retraites mais dans ce ras-le-bol général.

La crise bretonne n’a-t-elle pas été un révélateur des divisions au sein même des organisations syndicales ?

Il y en a eu un premier signe avec les tensions entre salariés du groupe Gad. C’est révélateur du fait que l’on n’arrive pas à avoir de réponse en termes de mobilisations et de rapports de force pour peser sur les choix des entreprises et du gouvernement. La division entre salariés prime, et le discours du Front national sur les immigrés, les Roms, etc.,a aussi cette fonction à une plus grande échelle. Cette question est centrale : le désenchantement et la colère contre le gouvernement viennent de ce qu’il fait la même chose que le gouvernement précédent.

L’attitude du gouvernement envers les organisations syndicales n’est-elle pas aussi un sujet de préoccupation ?

Les deux conférences sociales et le débat sur les retraites ont été caricaturaux. Formellement, il y a eu beaucoup de réunions. L’ensemble des organisations syndicales, y compris Solidaires, ont été reçues par le Premier ministre et les ministres concernés. Mais, au bout du compte, nous ne sommes pas écoutés. Sur les retraites, nous avons été reçus quatre fois – sans doute plus pour les autres organisations syndicales – sans que cela n’infléchisse les décisions.

L’idée d’exiger un pacte social en Bretagne rapprochera les organisations syndicales lors d’une mobilisation régionale le 23 novembre. S’agit-il d’organiser le mouvement social ?

En Bretagne, il est très important, en particulier pour les équipes de Solidaires, que le mouvement social reprenne la main et essaie de donner des repères à l’ensemble des salariés pour faire en sorte qu’ils ne soient pas instrumentalisés par des intérêts qui ne sont pas les leurs. La FNSEA est un syndicat agricole qui a soutenu le modèle productiviste, lequel a provoqué des dégâts chez les salariés et chez les paysans. Plutôt que de revendiquer la poursuite de ce modèle, catastrophique du point de vue social et environnemental, soutenu par des aides publiques, il serait temps de mettre en place une politique de transition pour passer à un autre système, qui prenne en compte les normes sociales et environnementales, et garantisse un avenir aux salariés comme à tous les paysans.

Solidaires sera-t-il présent dans la marche du 1er décembre pour une « révolution fiscale » lancée par le Front de gauche ?

Si cette marche contribue à susciter du débat citoyen sur les questions de fiscalité, c’est une bonne chose. Mais c’est l’initiative d’un parti en tant que tel, auquel une organisation syndicale ne peut se raccrocher comme cela. Elle ne dédouane pas les syndicats de faire leur boulot sur la fiscalité. Nous venons de publier un tract national montrant l’injustice de l’actuelle politique fiscale, qui profite à une minorité et à quelques lobbies trop entendus par le gouvernement. Comme d’autres syndicats et des partis politiques, nous avons des propositions qui pourraient être mises en œuvre si le gouvernement en avait la volonté politique. Quand François Hollande a dit : « Mon ennemi, c’est la finance », une des premières actions devait être de mettre en débat une réforme fiscale ambitieuse, quitte à ce que cela prenne du temps. Il faut poser les jalons d’une réforme qui renforce la progressivité de l’impôt sur le revenu et taxe les revenus du capital au même niveau que ceux du travail ; et il faut aussi revoir la fiscalité locale, qui pèse trop lourdement sur les ménages.

Allez-vous en discuter avec d’autres organisations syndicales ?

Nous verrons dans les jours et les semaines qui viennent s’il y a la possibilité d’avoir un cadre de débat intersyndical au niveau national. La Fédération syndicale unitaire (FSU) a fait une proposition dans ce sens. Nous avons répondu positivement. La difficulté est que nous avons des divergences avec certains syndicats, comme sur les retraites. Cela peut rendre le débat difficile, mais les questions de l’emploi et de la fiscalité sont deux sujets nationaux et interprofessionnels sur lesquels nous devrions arriver à mettre des choses en commun et à proposer des mobilisations sociales.

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