Décapitaliser le monde

Roger Martelli nous invite à réfléchir autour du concept de « mondialité ».

Denis Sieffert  • 21 novembre 2013 abonné·es

C’est peut-être finalement un livre sur les mots que nous propose cette fois Roger Martelli. Ces mots qui sont le préalable à tout combat politique. Comment définir nos objectifs ? Quel nom donner à notre projet ? L’historien nous remet en mémoire ce débat pas si ancien qui accoucha de « l’altermondialisme », après que ceux qui portaient un regard critique sur la mondialisation libérale eurent échappé de peu au piège de « l’anti ». Une « antimondialisation » aussi vaine que les efforts de la sorcière de la légende germanique qui voulait endiguer les flots de l’océan avec son balai.

Prendre acte de ce qui est de façon sans doute irréversible, c’est le premier impératif que nous fixe Roger Martelli. Rien ne sert d’être dans le déni, ni de s’assigner des objectifs intenables, ni de jeter le bébé de l’ouverture au monde avec l’eau du bain capitaliste. D’où cette « ambition » que l’auteur nous propose de partager avec lui : « Décapitaliser » plutôt que « démondialiser ». La difficulté, c’est que « mondialisation » est déjà un mot fourre-tout. À la fois « réalité » et « idéologie », nous dit Martelli. Une réalité qui remonte ** au plus loin de l’histoire humaine et une idéologie qui accompagne « l’expansion ultralibérale des années 1980-1990 ». On ne s’étonnera pas que dans, sa recherche du mot juste, Martelli croise le chemin d’Édouard Glissant pour lui emprunter le terme « mondialité », que le poète définit comme « l’ensemble des interconnexions matérielles et des solidarités qui font de la planète un monde, c’est-à-dire, un espace du commun ». Et « ce mondialisme assumé, précise Martelli, se doit de combattre la mondialisation du capital ». À présent, le lecteur est armé pour comprendre les rouages de la « mondialisation » et « le temps réel de la finance », quand tout territoire devient « un marché potentiel », et tout objet « une marchandise ». Martelli nous propose un « état des lieux » et une analyse pénétrante de l’évolution récente du capitalisme et de la crise. Mais la partie la plus singulière du livre est à venir lorsque l’auteur explore des pistes nouvelles. « L’ampleur des enjeux planétaires, écrit-il, devrait nourrir non pas une désespérance morbide, mais l’envie de découvrir de nouveaux horizons. » Mais comment rompre avec ce « paradigme qui fait de l’inégalité une donnée constitutive de la société des hommes »  ? La réflexion sur la question de la nation est ici passionnante.

Martelli nous met en garde là encore contre la séduction des mots, comme « fédéralisme » par exemple. Pour lui, « le peuple supranational est une virtualité ». Gare à la dépossession du « peuple politique » au profit de « groupes restreints de dirigeants à la charnière du privé et du public ». Ce n’est pas tant l’espace qui compte que le contenu politique et les meilleures conditions de l’exercice de la citoyenneté. Un livre vivifiant en ces temps de déprime.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Art de la subversion, bêtise du pouvoir
Idées 21 octobre 2024 abonné·es

Art de la subversion, bêtise du pouvoir

Dans un livre construit comme un dictionnaire, le plasticien et réalisateur Martin Le Chevallier répertorie les nombreuses tentatives de résistants et d’artistes pour glisser un grain de sable dans la mécanique des pouvoirs.
Par Benjamin Tainturier
Véronique, mère de Rémi Fraisse : « L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de mon fils »
Rémi Fraisse 16 octobre 2024 abonné·es

Véronique, mère de Rémi Fraisse : « L’État n’a pas tiré de leçons de la mort de mon fils »

Quasiment dix ans de silence, de batailles face aux mensonges de l’État et à l’impunité des forces de l’ordre après le drame de Sivens. Véronique témoigne aujourd’hui avec franchise et pudeur pour rétablir les faits et ouvrir les yeux sur la répression qui frappe les luttes écologistes.
Par Vanina Delmas
Le marxisme opère-t-il encore face aux Gafam ?
Essai 16 octobre 2024 abonné·es

Le marxisme opère-t-il encore face aux Gafam ?

Dans notre société de « capitalisme tardif », l’organisation collective des travailleurs est court-circuitée par une individualisation de plus en plus accrue. Stéphanie Roza, spécialiste en philosophie politique, interroge la capacité des travailleurs à résister à cette transformation profonde.
Par Olivier Doubre
Quelle riposte unitaire trans et intersexe ?
Intersections 16 octobre 2024

Quelle riposte unitaire trans et intersexe ?

Quelques jours après la tenue d’ExisTransInter, Mimi Aum Neko, militante transféministe, décoloniale et réfugiée politique thaïlandaise, revient sur le rôle des syndicats dans la lutte pour les droits des personnes trans.
Par Mimi Aum Neko