Iran : À quel jeu joue la France ?

Paris a bloqué un accord sur le dossier nucléaire. À la grande satisfaction d’Israël.

Denis Sieffert  • 14 novembre 2013 abonné·es

Les grandes puissances ne sont « pas loin d’un accord » avec Téhéran sur le nucléaire iranien, a commenté lundi Laurent Fabius, au lendemain de la conférence de Genève. « Pas loin », mais « nous n’y sommes pas encore », a précisé le ministre français des Affaires étrangères. Et si nous n’y sommes pas encore, c’est justement parce que la France a bloqué un accord qui faisait semble-t-il l’unanimité entre Américains, Russes, Iraniens, Chinois et Européens, à la notable exception de Paris. Il n’est jamais très réconfortant, sur la scène internationale, de recevoir les félicitations de l’opposition républicaine américaine et d’Israël. Ce sont pourtant ces lauriers encombrants que notre diplomatie a cueillis après l’ajournement d’une négociation qui devait permettre de lever un certain nombre de sanctions économiques qui frappent la population iranienne si durement. Pourquoi cette crispation ? La version officielle fait état de garanties insuffisantes données par l’Iran, notamment au sujet du réacteur à eau lourde d’Arak.

On connaît le débat. Les grandes puissances veulent empêcher l’Iran d’accéder à l’arme atomique, mais le régime iranien ne veut pas renoncer au nucléaire civil. Or, la France souligne le fait que le réacteur d’Arak produit du plutonium susceptible d’être utilisé pour fabriquer la bombe. Elle insiste également sur le problème de l’enrichissement de l’uranium. Paris estime que les stocks d’uranium enrichi à 20 % doivent être détruits, alors qu’il faut un enrichissement à 90 % pour faire la bombe. Il y a donc tout lieu de penser que le veto de la France n’est pas que technique. Il ne faut pas sous-estimer la volonté d’exister sur la scène internationale après le mauvais coup qui lui a été porté par Barack Obama dans le dossier syrien. On se souvient que le Président américain avait lâché la France après l’avoir encouragée à former une coalition pour frapper le régime de Bachar al-Assad. La France voudrait-elle se venger de cette mauvaise manière ?

Hélas, on ne peut pas exclure que l’intransigeance française résulte surtout d’une alliance stratégique et commerciale plus profonde avec Israël. Benyamin Netanyahou est vent debout contre tout accord avec l’Iran, qu’il considère comme la menace principale pour son pays. On sait que la politique israélienne, intérieure et extérieure, repose toujours sur le mythe de la « menace existentielle ». La volonté de Barack Obama et de John Kerry d’aboutir à un accord avec le nouveau Président iranien, Hassan Rohani, agace au plus haut point le gouvernement d’extrême droite israélien. Là aussi, il y a l’expression d’un vif ressentiment. Barack Obama ne pardonne pas à Netanyahou son blocage de tout processus de négociation avec les Palestiniens et la poursuite de la colonisation. Où donc se situe la France de François Hollande et de Laurent Fabius dans cette affaire ? Se livre-t-elle à une simple gesticulation diplomatique ou exprime-t-elle un alignement stratégique sur Israël ? Nous aurons dans une certaine mesure la réponse à cette question le 20 novembre, puisque c’est à cette date que les discussions de Genève doivent reprendre. Dans tous les cas, cette position risque d’être perdante. Soit la France renonce à ses exigences, et tout cela n’aura pas eu grande signification. Soit elle fait obstacle à tout accord, et elle se rangera ouvertement dans le camp d’un gouvernement israélien qui rêve d’en découdre avec l’Iran.

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