Bosser chez Amazon, c’est pas un cadeau…

À l’occasion des fêtes, des intérimaires sont embauchés sur les plateformes de l’enseigne. Une salariée témoigne des conditions de travail à Montélimar.

Thierry Brun  • 19 décembre 2013 abonné·es

En période de fêtes de fin d’année, le géant américain de la vente en ligne Amazon France a recruté massivement des intérimaires en contrats précaires. Louise [^2], âgée de 26 ans, a été recrutée à Montélimar, une plateforme qui emploie jusqu’à 1 200 salariés, dont 600 intérimaires. Elle apporte un témoignage édifiant sur les conditions de travail en 3 x 8. Extraits.

Les agences d’intérim de Montélimar recrutent des hordes de travailleurs et de travailleuses sur les quatre postes de travail de la plateforme. Vous pouvez y être admis comme « eacher », pour réceptionner les marchandises et les enregistrer informatiquement ; « stower », pour les ranger dans les kilomètres d’étagères ; « picker », pour arpenter les allées et rassembler les produits commandés ; ou « packer », pour les emballer avant expédition. C’est en tant que picker que j’ai découvert l’univers d’Amazon. Tout a un code-barres : les articles, les 350 000 emplacements sur les étagères, les chariots qui servent à déplacer les produits commandés, les gens qui poussent ces chariots, les imprimantes, les voitures. Les scannettes portatives dont chacun est équipé pour lire les codes-barres ont aussi un code-barres. Elles sont reliées au réseau wi-fi, qui peut les localiser dans l’entrepôt. Les managers qui sont derrière leur ordinateur savent en temps réel où se trouve un livre, sur quel chariot il a été enregistré, quel intérimaire pousse le chariot, où il se déplace dans l’entrepôt, à quelle heure il s’est mis au travail, quelle a été la durée exacte de sa pause et combien d’articles il « picke » par heure. Cette productivité personnalisée est évaluée en permanence. « Il faut être plus dynamique, tu perds trop de temps en ramenant les articles à ton chariot, tu es à 85 articles par heure », m’a lancé un jour un manager au détour d’un rayon. En tant que pickers, nous devons rassembler plus d’une centaine d’articles par heure, en arpentant les rayons sur une distance cumulée de 15 à 25 km selon notre rapidité et selon la dispersion des articles qui défilent sur l’écran de notre scan. Cet objet nous guide parmi les étagères, nous indiquant les coordonnées du prochain article à attraper : l’entrepôt est divisé en zones, subdivisées en allées, subdivisées en profondeurs d’allées, subdivisées en hauteurs d’étagère.

Le parcours est programmé de façon rationnelle pour minimiser les distances d’un point à un autre. Aussitôt que les coordonnées d’un livre s’affichent, un compte à rebours de quelques secondes défile avec cette phrase : « Il est temps de picker. » Le nombre total d’articles restant à picker et le temps imparti pour les rassembler apparaissent en dessous. Dans l’empressement général, la mise en concurrence joue à plein, sinon parce que le CDI est un sésame à décrocher, au moins parce que le non-renouvellement du contrat d’intérim est une épée de Damoclès au-dessus de chaque tête. Avoir un bon comportement, c’est par ailleurs accepter les heures supplémentaires. Au matin du 4 décembre, lorsque nous arrivons à l’entrepôt vers 5 h 30, l’équipe de nuit, qui finit à 4 h 50, est encore là. Le discours d’accueil, qu’une manageuse fait quotidiennement pour commencer la journée, nous invite à rester une demi-heure de plus pour faire face à une augmentation inattendue des commandes. « L’équipe de nuit a fait l’effort, comme vous l’avez vu. Nous vous demandons de le faire aussi, pour que l’équipe suivante n’ait pas une charge de travail insurmontable ! » Ce discours servi chaque matin à 5 h 50, au moment de la prise de poste, vise à motiver les troupes, à annoncer le nombre de commandes qu’il faudra préparer dans la journée, à prévenir les erreurs constatées la veille… ou à donner des conseils sur le mode de vie à avoir lorsqu’on travaille chez Amazon : ne vous couchez pas trop tard, n’hésitez pas à faire une sieste, mettez une lumière forte au réveil pour aider l’organisme à se mettre en route, mangez bien à la pause…

Cette dernière injonction est tout à fait paradoxale. Les deux pauses de 20 minutes qui nous sont accordées ne laissent en aucun cas le temps de bien manger. Si vous en avez l’intention, il faut traverser tout l’entrepôt (3 à 4 minutes), passer par le poste de sécurité, rejoindre votre casier pour prendre votre pique-nique et atteindre la salle de pause. Là, il faut choisir entre avaler une bouchée de sandwich et aller aux toilettes, faire les deux étant assez ambitieux puisque vous devez avoir fait le chemin en sens inverse et retrouvé votre chariot lorsque retentit la sonnerie qui annonce la reprise du travail.

[^2]: Le prénom a été changé. Cette salariée a requis l’anonymat, notamment en raison de clauses imposant la confidentialité figurant sur les contrats de travail.

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