Immigration : Hollande poursuit la politique de Sarkozy

La Cimade dénonce une politique qui continue de pratiquer rétention et expulsions massives. Entretien avec deux membres de l’association à l’occasion de la parution du rapport inter-associatif* 2013 sur la rétention.

Ingrid Merckx  • 6 décembre 2013
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Immigration : Hollande poursuit la politique de Sarkozy
© Crédit photo: PHILIPPE HUGUEN / AFP

POLITIS : En arrivant au pouvoir, François Hollande s’était engagé à ce
qu’il n’y ait plus de familles en centre de rétention. A-t-il tenu cet
engagement ?

DAVID ROHI : Pas complètement : en 2012, le ministère de l’Intérieur a publié une circulaire timide sur l’enfermement des familles en rétention. On est alors passé de 300 enfants en rétention par an, en métropole, à deux ou trois familles en 2012, et une dizaine en 2013.
Le gros problème, c’est que Mayotte est exclue de la circulaire. D’après les chiffres du ministère de l’Intérieur, 3 990 enfants ont été expulsés de Mayotte, la plupart étant passés par des centres de rétention (CRA). Et ce, dans des conditions obscures : une partie passe par un CRA non habilité, où les conditions de rétention sont très mauvaises, et une autre partie passe par des locaux de rétention administrative créés spécialement pour des arrivées d’embarcations clandestines.
Ceci se fait dans un contexte où les gens n’ont aucun droit : sans possibilité de recours contre la mesure d’éloignement, ils sont expulsés en 24 ou 36 heures. Il n’y a absolument aucun contrôle des juges sur l’enfermement ou les procédures d’éloignement.

Pourquoi est-ce que l’Outre-Mer pâtit d’un régime d’exception ?

Les gouvernements successifs ont toujours justifié cela par une
situation exceptionnelle : il y aurait des flux plus importants qu’ailleurs
du fait de l’emplacement, et donc moins de droits pour faciliter des expulsions rapides. Il y a eu 10 000 expulsions en 2012 en Guyane. À Mayotte, il faut en plus compter des milliers de morts en mer chaque année.
Cette situation exceptionnelle, qui permettrait de déroger à la Constitution selon laquelle les départements sont égaux, a été mise à mal par une
décision de la Cour européenne des droits de l’homme en 2012 : c’est l’arrêt
de Souza Ribeiro. Le gouvernement n’en a tiré aucun enseignement. Ce qui est d’autant plus étrange qu’il vise des situations où le droit de vivre en
famille est remis en question.
Nous sommes dans la continuité des lois
Sarkozy avec une politique d’enfermements massifs et d’expulsions portant
atteinte aux droits fondamentaux. En outre, les quelques mesures prises par le gouvernement sur la rétention des familles et leur régularisation sont passées par voie de circulaires et sont donc appliquées très inégalement par les préfectures. Il fallait interdire l’enfermement des enfants.

La rétention des familles a t-elle été remplacée par des assignations à
résidence ?

En partie. Et la circulaire a eu un effet pervers : certaines
préfectures, ne pouvant plus enfermer les familles, placent en rétention un
des deux parents, souvent le père, laissant alors des
enfants dehors. La stratégie consiste à mettre la pression sur toute la
famille pour qu’elle soit présente devant l’avion le jour de l’expulsion.

Le nombre de personnes en rétention n’a donc pas diminué depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir ?

François Hollande avait promis que la rétention, qui est la règle, devienne
l’exception. Que les migrants ne soient pas traités comme des criminels
serait conforme au droit européen. Mais on dénombre plus de 47 000 personnes en rétention en 2012, dont 20 000 Outre-Mer. Il y a urgence à aligner l’Outre-Mer sur le régime métropolitain et à faire évoluer
l’ensemble de la loi Besson/Hortefeux/Guéant de juin 2011 sur l’immigration.
Pourtant, la logique semble la même que sous la droite.
D’ailleurs, le marché public qui encadre l’intervention des associations en
CRA ne prévoit aucune fermeture de centres. C’est bien la preuve que le
projet reste identique.

Illustration - Immigration : Hollande poursuit la politique de Sarkozy - Regroupement de demandeurs d'asile réfugiés sur un parking de Metz, le 13 Novembre 2013. (JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP)

En attente d’une réforme progressiste du droit d’asile

Manuel Valls prépare un projet de réforme du droit d’asile. Quelle direction
prend-elle ?

GERARD SADIK : Le projet de loi va droit dans le mur. Nous sommes assez
déconcertés car les parlementaires semblent n’avoir pas tenu compte du
travail effectué en amont. La Coordination française du droit d’asile a
produit un rapport de 130 pages dénonçant des manquements au droit d’asile. Le gouvernement a un peu réagi en lançant une concertation intéressante. Mais il n’en reste pas grand chose sinon une proposition concernant la dématérialisation de la demande d’asile.
La tendance est à la lutte contre le « dévoiement » du droit d’asile, plutôt qu’au respect des droits. Au lieu de créer massivement des places d’accueil en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada), la réforme prévoit des « Cada light », soit des hébergements stricts, l’accompagnement devant se faire via des plateformes départementales.

Les associations de défense des migrants avaient fait des propositions complètes, réalistes et pragmatiques, où l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) était le premier saisi pour que les gens soient rapidement considérés comme demandeurs d’asile dans le cadre d’une procédure simplifiée. La nouvelle procédure institutionnalise l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration). Le projet prévoit un système obligatoire d’hébergement. Mais, pour ce faire, il faudrait créer
30 000 à 40 000 places d’un coup. Surtout, le projet est sous-financé.

Combien y a-t-il de demandeurs d’asile en France aujourd’hui ?

Environ 70 000 demandes en cours d’instruction pour l’année passée. La
procédure dure en moyenne 18 mois. Entre 20 et 30 % obtiennent le statut de réfugiés. Pour les déboutés du droit d’asile, on crée des LAR (Lieu d’assignation à résidence), soi-disant pour les accompagner : en fait, c’est un dispositif à mi-chemin entre le CRA et le Cada. Demandeurs d’asile et déboutés n’ont pas le droit de travailler. À part ceux qui bénéficient de
l’allocation temporaire d’attente (336 euros), ils sont sans ressources.

Nous avions demandé une procédure accélérée faisant passer le délai de
traitement des dossiers de 18 mois à 6 mois, et basée sur le fond des dossiers : les très bons acceptés tout de suite, les très mauvais rejetés immédiatement. Et si la réponse traîne au-delà de six mois, on autorise les personnes à travailler. On les sort de la quarantaine sociale, ce qui favorise leur
intégration. Mais le gouvernement semble avoir renoncé à une réforme
progressiste.

*La Cimade, France Terre d’Asile, Forum Réfugiés, L’Ordre de Malte.

Société
Temps de lecture : 6 minutes
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