Pour continuer l’aventure

Les repères ne sont plus des dogmes ou des camps retranchés. Mais ils existent toujours. Cela peut s’appeler des principes ou des valeurs.

Denis Sieffert  • 19 décembre 2013 abonnés

Deux fois par an, je vous donne des nouvelles de Politis. C’est assez rare pour que nous ne soyons pas soupçonnés de nombrilisme, ce mal si répandu dans notre métier. C’est simplement un devoir dans un journal qui doit tout à ses lecteurs. Je sais, la formule ne brille pas par son originalité. Quel rédacteur en chef, quel directeur de publication ne dira pas qu’il « doit tout à ses lecteurs » ? Mais chez nous, c’est la stricte vérité, à la fois morale et comptable. Ce journal ne vit que de ses ventes, de ses abonnements et du soutien des bénévoles – qu’on ne remerciera jamais assez – de l’association Pour Politis [^2]. La publicité n’est qu’une part infime de nos recettes, et scrupuleusement choisie en conformité avec nos principes (voilà au moins une crise – celle de la pub – que nous ne subissons pas !).

Quant aux subventions, n’en parlons pas. Ou plutôt si, pour une fois, parlons-en ! Officiellement, un hebdomadaire d’informations générales comme le nôtre n’a droit à aucune aide directe. Pas plus que nos excellents confrères du Point, de l’Express et du Nouvel Obs. La manne étant réservée aux quotidiens « à faibles recettes publicitaires ». Il a donc fallu le rapport de la Cour des comptes, puis le louable souci de transparence de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, pour que nous apprenions qu’en 2012 nos confrères ont reçu de moelleux subsides. Selon quel mécanisme, par quelle procédure et en vertu de quelle logique ? Mystère ! Si une « autorité » peut nous éclairer, nous nous ferons un plaisir de relayer l’information. Quoi qu’il en soit, nous avions compris depuis un certain temps déjà que notre salut n’est pas de ce côté. Ce qui ne nous empêche pas de considérer que s’il existe un « droit », on aimerait le connaître… Mais venons-en à l’essentiel. Car si la crise n’affecte pas nos recettes publicitaires, elle frappe méchamment notre petite économie. Relancé grâce à une souscription miraculeuse en 2006, notre journal a été rapidement pris dans la tourmente. Après deux exercices bénéficiaires, nous avons subi des pertes importantes, principalement dans la vente au numéro. Cette « crise du papier » qui n’est que l’autre nom de la révolution numérique. Pour y parer, nous avons investi sur le site. Avec quelques succès, puisque l’audience de Politis.fr est en constante progression. Nous y produisons maintenant une information spécifique qui ne figure pas dans l’hebdomadaire.

Pour ces dépenses et l’achat du matériel nécessaire, nous avons été (un peu) soutenus par le fonds d’aide au développement de la presse en ligne. Mais comme il n’était pas question pour nous de sacrifier le papier, nous avons dû réduire la mise en place en kiosque et miser plus que jamais sur les abonnements. Ce qui nous a permis de limiter sérieusement les pertes. Voilà pour le passé. Parlons maintenant d’avenir. Pour les deux prochaines années, capitales pour Politis, nous nous sommes fixé trois objectifs : continuer de développer notre site, en renforçant la thématique de la résistance ; améliorer ponctuellement notre visibilité en kiosque – pas sur tous les numéros, mais sur une dizaine de dossiers forts dans l’année – et, bien sûr, gagner de nouveaux abonnés. La réalisation de ce dernier objectif conditionne les autres [^3]. Nous visons cinq cents abonnés supplémentaires d’ici à l’été prochain. Si nous y parvenons, Politis sera stabilisé. Sinon, il y aura péril en la demeure… La difficulté pour nous, c’est de trouver les moyens qui nous permettront de toucher ces nouveaux lecteurs. Bref, de nous faire connaître. Après vingt-cinq ans d’existence, Politis brille toujours par sa discrétion dans un univers médiatique où le tapage et la vulgarité sont devenus la clé de ce qu’il est convenu d’appeler le « succès ». La voix de Politis est singulière, mais elle n’est pas très forte. Pas de « salauds » à faire pétitionner ; pas de cul à exhiber ; pas de révélations sur la vie privée de DSK… bref, nous sommes nuls (mais Fontenelle dit ça très bien, à sa manière, dans sa chronique qui porte sur le même sujet). Pour faire entendre notre voix et gagner notre pari, de nouveaux actionnaires, amis, seraient donc les bienvenus. S’il y a des candidats, qu’ils n’hésitent pas à se faire connaître ! Nos besoins sont modestes…

Au fond, la question qui se pose à vous, lecteurs, comme à nous, est celle de l’existence d’une presse vraiment libre. Une liberté dont nous usons jusqu’à oser parfois déplaire à nos amis. Pour faire un long voyage avec nous, il faut être sûr de nos principes et convaincu de notre honnêteté. Après quoi, on peut admettre un désaccord sans pour autant vouloir la mort du petit cheval. On a coutume de dire que le monde a perdu ses repères. C’est en partie inexact. Les repères ne sont plus, comme autrefois, des dogmes ou des camps retranchés. Mais ils existent toujours. Cela peut s’appeler des principes ou des valeurs. Dans le livre dont je fais la recension plus loin dans ce numéro, François Burgat parle à propos de la Syrie ou de la Libye – mais ce pourrait être d’autres sujets – du « confort des solidarités partisanes jusqu’alors automatiquement reconduites » dont nombre de militants sont aujourd’hui « brutalement privés ». Cet inconfort, c’est le nôtre. Il nous force à réfléchir en restant fidèles à nous-mêmes, mais en bannissant les réflexes conditionnés. C’est à la fois périlleux et enthousiasmant.

[^2]: Nos remerciements aussi à nos généreux contributeurs via l’association Presse et pluralisme (voir p. 17).

[^3]: Après quelques problèmes techniques dus à un changement de gestionnaire d’abonnements, il est à présent très facile de s’abonner sur notre site Politis.fr

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes