Renault ou le capitalisme sans frein

Benjamin Cuq révèle une stratégie industrielle dominée par l’appétit du profit.

Thierry Brun  • 12 décembre 2013 abonné·es

C’est un livre à charge sur Renault. Une enquête sur le premier constructeur automobile français, dont on disait dans le passé : « Renault éternue, la France s’enrhume. » Cette phrase n’est plus qu’un lointain souvenir, démontre Benjamin Cuq, journaliste spécialiste de l’automobile, qui s’interroge sur le désamour des Français pour la marque au losange en fouillant son histoire. Quelle est donc la raison du « divorce » ? Certains l’attribuent à la vague de suicides, entre 2006 et 2007, qui a touché les salariés du technocentre de Guyancourt. Durant cette période, tous dénonçaient la dégradation de l’ambiance au travail depuis la mise en place, en février 2006, par l’actuel PDG, Carlos Ghosn, du « Renault Contrat 2009 », avec le but avoué de devenir le constructeur généraliste européen le plus rentable. Cette période de folie des grandeurs est précédée par la fermeture du site belge de Vilvorde, en 1997, et suivie par la restructuration « à la hache » de Nissan.

L’auteur apporte aussi un éclairage édifiant sur un épisode de l’histoire de la marque française, devenue un fleuron public au lendemain de la Libération par une ordonnance de nationalisation prononcée en raison des activités de collaboration avec le régime nazi du fondateur, Louis Renault. Aujourd’hui encore, beaucoup veulent faire passer cette vérité historique pour une fable. Benjamin Cuq prend donc un soin particulier à citer les travaux de l’historienne Annie Lacroix-Riz, établissant des faits incontestables. Ainsi, c’est bien pendant la collaboration que Louis Renault, réputé omnipotent et anticommuniste, a fait grossir sa fortune. Difficile d’ignorer ce lourd passé, suggère l’auteur, quand, plus tard, les patrons de Renault se comportent « comme de véritables mercenaires qui ne se battent pour aucune patrie, sinon celle du profit ». Au fil du temps, les casses sociales se sont succédé au nom de la libre concurrence. Elles ont donné lieu à de nombreux mouvements sociaux, dont certains se sont achevés tragiquement. Surtout, Renault connaît entre 2000 et 2011, sous les présidences de Louis Schweitzer et de Carlos Ghosn, une chute vertigineuse de sa production en France. Elle passe de 1,12 million de voitures à moins de 445 000, une baisse de 60 % liée aux délocalisations, alors que la production mondiale du groupe a augmenté de plus de 16 %. L’enquête de Benjamin Cuq insiste sur la « gestion pour le moins baroque », en particulier de l’ « omniprésident » Ghosn. On apprend que celui-ci « refuse d’évoquer sa succession » et a un appétit de pouvoir « inextinguible ». De quoi mettre Renault de nouveau face à son histoire.

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