Serge Michailof : « Le souvenir du Rwanda resurgit »

Selon Serge Michailof, la France ne peut pas s’affranchir de son histoire en Afrique.

Camille Selosse  • 19 décembre 2013 abonné·es

Alors que la France semble conserver son rôle de gendarme de l’Afrique, Serge Michailof revient sur sa difficulté à se désengager militairement du continent.

Le Mali, et maintenant la Centrafrique : il semble difficile pour François Hollande de rompre avec l’interventionnisme français en Afrique. Mais est-ce possible ?

Serge Michailof : La question se pose, en effet : on peut toujours dire qu’on se lave les mains de l’Afrique, elle vient sans cesse se rappeler à nos souvenirs. Par exemple, en France, il y a 200 000 Maliens, et à Bamako 6 000 Français. Le Président ne pouvait donc pas se désintéresser de la question et laisser ces 6 000 citoyens aux mains des islamistes. De plus, la France a des bases militaires dans différents pays d’Afrique. Elle est donc, dans le même temps, la seule à vouloir intervenir mais aussi la seule à pouvoir le faire rapidement. Concernant la Centrafrique, ce sont les mauvais souvenirs du Rwanda qui ont ressurgi, quand la France et la communauté internationale avaient tardé à intervenir, avec les conséquences que l’on connaît. La France ne veut pas refaire cette erreur. Si Hollande n’avait pas bougé, on l’aurait blâmé, accusé de laisser se dérouler un bain de sang. S’il intervient, on le critique aussi. Finalement, aucune décision n’est sans risques ou conséquences.

Intervenir serait donc une fatalité ?

Oui, car la France se retrouve encore aujourd’hui rattrapée par l’histoire. Il y a des liens culturels forts qu’on ne peut pas ignorer. Peut-être la France aurait-elle dû couper le cordon ombilical dans les années 1960 et 1970, mais ça n’a pas été le cas. Hollande avait une idée claire pour l’Afrique : ne pas s’en occuper, la laisser à ses démons ou à ses succès. Même s’il souhaitait revoir la nature des liens politiques, la démographie ne peut être ignorée. Les liens migratoires, très forts, sont des liens qui ne peuvent être défaits. En outre, les États-Unis et l’Europe considèrent que l’Afrique n’est pas leur problème. Si la France n’intervient pas, personne n’intervient.

Peut-on pour autant continuer à parler de Françafrique ?

La Françafrique, c’est à la fois des fantasmes et des réalités. Les réseaux occultes de la France en Afrique sont en partie fantasmés. La réalité, en revanche, c’est le financement des partis politiques français par les États africains, et ce jusqu’à Jacques Chirac, voire Nicolas Sarkozy comme on le soupçonne. Et tous les partis ont été concernés durant la seconde moitié du XXe siècle. Certains pays africains avaient donc une influence considérable sur la vie politique française, ce qu’on oublie parfois. On a plutôt l’habitude de souligner l’influence française en Afrique, mais la réciproque était vraie. Aujourd’hui, c’est peut-être un peu moins le cas, mais je ne peux pas l’assurer. En général, les révélations viennent a posteriori. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut plus faire ce qu’a fait Giscard en Centrafrique avec Bokassa. Même si ça n’empêche pas la France de donner un coup de pouce de temps à autre, comme en Côte d’Ivoire, où nous avons largement guidé Laurent Gbagbo vers la sortie. Parfois, selon moi, les interventions ont du bon, mais, quoi qu’il arrive, elles feront débat. Si l’ancien temps semble tout de même révolu, il est indiscutable que la France continue de peser en Afrique.

Monde
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Droit international : quand règne la loi du plus fort
Monde 9 juillet 2025 abonné·es

Droit international : quand règne la loi du plus fort

Les principes du droit international restent inscrits dans les traités et les discours. Mais partout dans le monde, ils s’amenuisent face aux logiques de puissance, d’occupation et d’abandon.
Par Maxime Sirvins
Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

Le droit international, outil de progrès ou de domination : des règles à double face

Depuis les traités de Westphalie, le droit international s’est construit comme un champ en apparence neutre et universel. Pourtant, son histoire est marquée par des dynamiques de pouvoir, d’exclusion et d’instrumentalisation politique. Derrière le vernis juridique, le droit international a trop souvent servi les intérêts des puissants.
Par Pierre Jacquemain
La déroute du droit international
Histoire 9 juillet 2025 abonné·es

La déroute du droit international

L’ensemble des normes et des règles qui régissent les relations entre les pays constitue un important référent pour les peuples. Mais cela n’a jamais été la garantie d’une justice irréprochable, ni autre chose qu’un rapport de force, à l’image du virage tyrannique des États-Unis.
Par Denis Sieffert
Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »
Entretien 2 juillet 2025 abonné·es

Yassin al-Haj Saleh : « Le régime syrien est tombé, mais notre révolution n’a pas triomphé »

L’intellectuel syrien est une figure de l’opposition au régime des Assad. Il a passé seize ans en prison sous Hafez Al-Assad et a pris part à la révolution en 2011. Il dresse un portrait sans concession des nouveaux hommes forts du gouvernement syrien et esquisse des pistes pour la Syrie de demain.
Par Hugo Lautissier