Alain Soral, l’imposteur

Loin de l’image de l’intellectuel anti « pensée unique » qu’il cultive, ce proche de Dieudonné distille sa haine des juifs, des femmes et des homos dans des pamphlets et des vidéos consternants.

Pauline Graulle  • 9 janvier 2014 abonné·es

Un canapé rouge, une pile de livres, trois statuettes en plaqué or qui font la « quenelle ». Le décor est minimaliste mais le message est clair : ce n’est pas parce qu’il est banni des médias qu’Alain Soral ne parlera pas à la France. Alors, face caméra (et en direct de son salon), il entonne sa logorrhée. Pêle-mêle : la mainmise de Drucker et autres « cadres de la communauté » sur la télévision, « l’immense fortune » de Bertrand Delanoë, les « persécutions judiciaires » de la Licra, « l’idéologie dominante » du mariage pour tous – et même la « sionisation » de Politis  ! La rhétorique du « marabout-bout de ficelle », entrecoupée d’images d’actualités, fonctionne. Soral use d’amalgames pour installer le doute. Et si les médias, « qui nous racontent » que la mort de Clément Méric – ce « petit crétin haineux [^2] »  – « est un ignoble crime politique », étaient manipulés par les défenseurs d’Israël ?

Ces vidéos postées chaque mois, voilà le petit trésor d’Égalité & Réconciliation (E&R). Sur le site Internet du mouvement créé en 2007 par Alain Soral, elles rassemblent des centaines de milliers de spectateurs. Des internautes qui pourront ensuite, en quelques clics, acheter les ouvrages du « dissident », ainsi que les produits dérivés de sa petite entreprise (tee-shirt « Maître quenellier » ou DVD de son film…). Et, pourquoi pas, faire un don pour le « soutenir dans les épreuves qui l’attendent » – merci de libeller le chèque directement à… Alain Soral ! Le site renvoie également vers les activités connexes de l’homme d’affaires : sa lucrative maison d’édition, Kontre Kulture, qui réédite des textes tombés dans le domaine public – comme le pamphlet antisémite de Drumont la France juive  – ou promeut son entreprise de plats cuisinés, Au bon sens, « produits sains et enracinés »  « Alain Soral, petit idéologue et grand épicier », titrait récemment la revue Article 11. Tour à tour autoproclamé « sociologue », « écrivain libertaire » ou « journaliste professionnel » (il a certes brièvement écrit dans Flash, bimensuel trash créé avec d’anciens frontistes), Soral fascine davantage par ses talents de VRP que par la force de sa pensée. « Il se présente en chef de parti et en théoricien, mais en réalité il attire plus par sa véhémence », résume Alain de Benoist, essayiste et ex-animateur du courant Nouvelle Droite. Façon polie de dire que la forme l’emporte sur le vide abyssal du fond… C’est que Soral est d’abord, et avant tout, un homme du show-biz. Un enfant de la télé découvert par le grand public dans les talk-shows psychos des années 2000. Au détour du fauteuil d’un « C’est mon choix » sur les machos et où « jamais aucun invité n’avait suscité autant de réactions », s’émerveille alors la présentatrice. Ou du plateau de Mireille Dumas où, à côté de sa sœur – l’actrice Agnès Soral, visiblement consternée –, il raconte son calvaire d’enfant battu et la haine inextinguible qu’il voue à sa famille.

Côté formation intellectuelle, l’ancien dandy punk manque d’étoffe. Et de diplômes. Spécialiste de l’histoire de la mode, il est licencié en boxe française. Pour le reste… « Il a plus lu que vous et moi », plaide Franck Spengler, son débonnaire éditeur chez Blanche, petite maison d’édition qui vit des best-sellers de l’essayiste et de littérature érotique. Malgré la résistance de nombreux libraires qui refusent de le mettre en rayon, Comprendre l’Empire  (2011) s’est vendu à 72 000 exemplaires. Quant à Dialogues désaccordés  (2013), où Éric Naulleau lui donne complaisamment la réplique, il a été propulsé 24e au classement des meilleures ventes d’essais. Deux ouvrages qui n’ont, en apparence, guère de rapport avec ses écrits de jeunesse sur la (déplorée) « féminisation » du monde et la « sociologie »  (sic) du dragueur, si ce n’est ce curieux verbiage pseudo-savant mêlé d’invectives. Et sa manie de dévoiler les vrais noms de personnalités d’origine juive, alors qu’il se garde bien de mentionner son propre patronyme à particule. Sans doute Alain Bonnet de Soral aurait-il pu s’en tenir à ses essais sur les « pétasses » et les « tapettes ». Mais le mondain provoc’, apprécié de Thierry Ardisson, rencontre Dieudonné en 2003. Les deux ne se quitteront plus. Ils forment un tandem aux intérêts (notamment financiers) bien compris : Soral a besoin d’un clown pour recruter ses lecteurs, « Dieudo » d’un prétendu penseur pour le défendre et faire sa pub sur les plateaux télé. Jusqu’à ce « Complément d’enquête » de 2004 : « ça fait quand même deux mille cinq cents ans que, chaque fois qu’ils  [les juifs] mettent les pieds quelque part, ils se font dérouiller, lâche Soral face caméra. Ça veut peut-être dire que c’est bizarre… ». Condamné pour incitation à la haine raciale, il trouve porte close chez ses anciens amis du PAF. Et se radicalise.

En 2006, celui qui brandit son ancienne appartenance au PCF comme un gage de probité politique rejoint le FN. Nommé chargé des banlieues, le chouchou de Jean-Marie Le Pen se rêve tête de liste aux régionales. Mais son positionnement faussement islamophile (voir p. 20) et son obsession non dissimulée pour le « lobby juif » heurtent la stratégie de relooking du parti. De profonds différends qui n’empêchent pas Soral de considérer que le FN a « le meilleur programme économique ^3 ». Et Le Pen (père) de clôturer, en 2008, la première université d’été d’E&R. Ni parti politique ni think tank, le mouvement se muera, au gré des prises de bec, en simple fan-club de son président. Lequel rejoint logiquement, en 2009, la Liste antisioniste de Dieudonné. Là encore, cette incursion dans le monde politique est un échec, avec un score de 1,30 % en Île-de-France… Rejeté des médias, boudé par le monde politique. De quoi donner de l’eau au moulin conspirationniste de la « pensée » soralienne (voir entretien). Une pensée qui se présente comme « antisystème » mais qui n’est en réalité qu’une analyse à la petite semaine, accumulation de poncifs et de lieux communs : dénonciation de la franc-maçonnerie et des banquiers juifs qui dirigeraient le monde, de la gauche caviar, du gratin mondain et du lobby gay, exaltation du virilisme, climato-scepticisme… « Soral est issu des milieux catholiques traditionalistes, mais sa pensée est composite, attrape-tout », souligne ainsi Stéphane François, maître de conférences à l’université de Valenciennes et spécialiste des droites radicales. Reste que, de Mai 68 à l’instauration du mariage pour tous en passant par la mort « suspecte » de Coluche, tous les maux seraient explicables par une seule raison : « l’oligarchie mondialiste sioniste et prosioniste ^3 ». Ou, pour le dire plus clairement, le complot juif. « J’ai découvert la domination juive alors que j’étudiais la lutte des classes ^3 », écrit celui qui se prétend aussi bien « marxiste » que « national-socialiste ^3 »  ! Une « domination » dont les bras armés seraient le Crif et la Licra. Mais aussi la loi Gayssot, ainsi que les Finkielkraut, BHL, Cohn-Bendit, Kouchner, Attali… Autant de cibles (qui, il est vrai, prêtent souvent le flanc à la critique) dont le but secret serait d’entreprendre un « travail de culpabilisation éhonté [^7] » des citoyens vis-à-vis de la Shoah afin de les mettre dans l’impossibilité de critiquer Israël. Il faudrait pourtant être bien naïf pour ne pas voir derrière l’antisionisme affiché de Soral – d’ailleurs, il se garde bien d’analyser le conflit israélo-palestinien, qui n’est au fond pas son problème – un véritable antisémitisme. Celui qui s’affiche en train de faire la quenelle au Mémorial de la Shoah, à Berlin, affirme également que le négationniste Robert Faurisson est injustement « persécuté ». Et soutient aussi bien le régime iranien version Ahmadinejad que la Corée du Nord, au prétexte d’une « résistance ^3 » à « l’Empire » américano-sioniste.

Rien de très nouveau pour l’historien Nicolas Lebourg : « Pour comprendre Soral, il faut avoir à l’esprit trois antécédents. D’abord, Drumont et son récit sur des conspirateurs juifs. Ensuite, Duprat, admirateur du Baas syrien et des populismes latino-américains, pour qui la France serait en fait dans la même situation d’occupation sioniste que la Palestine. Enfin, il y a Jean Thiriart, qui a initié l’extrême droite aux géopolitistes qui avaient marqué leurs homologues allemands de l’entre-deux-guerres. » Finalement, quel est le projet de Soral ? « Sauver la France », ose le mégalo dans l’une de ses vidéos. « C’est surtout l’argent qui l’intéresse », avance Stéphane François. « Il n’a pas de projet politique, soutient Jean-Yves Camus, chercheur à l’Iris et spécialiste de l’extrême droite. Au contraire, en manipulant les poncifs sur le pouvoir et les juifs, sur l’argent et les juifs, il détourne les gens de la politique. Pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur la toute-puissance américaine et sur le conflit israélo-palestinien. » « Il veut amener un nouveau public aux vieilles rengaines de l’extrême droite, estime quant à lui Jean-Paul Gautier, coauteur de la Galaxie Dieudonné (Syllepses, 2011). Mais son poids politique est limité. Il est condamné à rester une girouette idéologique et à patauger dans le marigot de l’extrême droite.   » C’est tout le bien qu’on lui souhaite.

[^2]: Dialogues désaccordés, Éric Naulleau et Alain Soral, éd. Blanche, 2013.

[^3]: Ibid. 

[^4]: Ibid. 

[^5]: Ibid. 

[^6]: Ibid. 

[^7]: Comprendre l’Empire , Alain Soral, Blanche, 2011. 

[^8]: Ibid. 

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