Israël-Palestine : un débat doublement empoisonné

Les propagandistes d’une politique israélienne moralement indéfendable ont beaucoup fait pour alimenter le commerce de la haine de Dieudonné et Soral.

Denis Sieffert  • 9 janvier 2014 abonné·es

Quelle place occupe le conflit israélo-palestinien dans le public de Dieudonné et de Soral ? Importante, sans doute. Et c’est ce qu’il y a de plus pénible dans cette affaire. Car il ne s’agit pas toujours d’antisémites, loin s’en faut, mais de jeunes gens révoltés contre une injustice et trompés par deux charlatans. Hélas, leur égarement résulte aussi d’une autre escroquerie morale. Depuis ce mois de juillet 2000 marqué par l’échec des négociations de Camp David, des dirigeants communautaires, l’actuel président du Crif en tête, soutenus par une poignée d’intellectuels, ont cru intelligent de recourir à une arme à double tranchant : l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme, et habile de faire taire, parfois à coups de procès, ceux qui critiquaient la politique coloniale israélienne dans les territoires palestiniens.

Par ces méthodes, on a même tenté de discréditer des grandes consciences morales comme Edgar Morin ou Stéphane Hessel. À l’abri de ce système d’intimidation et du renoncement des pays occidentaux à faire appliquer dans cette région du monde le droit international, les gouvernements israéliens ont pu planifier méthodiquement l’extension des colonies en Cisjordanie. Aujourd’hui, si l’on fait l’inventaire des destructions de maisons, des routes interdites, des attaques de colons menées en toute impunité contre des paysans palestiniens, et si on fait le compte des emprisonnements arbitraires, sans oublier la ségrégation qui frappe les Palestiniens israéliens, il n’est pas exagéré – il n’est plus exagéré – de parler d’apartheid. Au point que le parallèle avec l’Afrique du Sud d’avant Mandela n’a plus rien de polémique [^2].

Or, en France, décrire cette réalité est devenu suspect. L’enfumage idéologique a opéré. Et Dieudonné recrute dans cet univers de confusion. Car l’amalgame entre la politique coloniale israélienne et le judaïsme a deux bouts. Il y a, d’un côté, l’histoire vraie d’un antisémitisme venu de la gauche et d’un négationnisme bien réel. L’ex-communiste Roger Garaudy en fut l’illustration avec, en 1995, son livre les Mythes fondateurs de la politique israélienne, tout comme son éditeur, Pierre Guillaume, animateur dans les années 1970 de la librairie La Vieille Taupe [^3]. Le négationniste Robert Faurisson, célébré par Dieudonné, représente aussi un cas extrême de cette dérive à partir de sa haine d’Israël. Mais, de l’autre côté, la confusion antisémitisme/antisionisme est aussi exploitée par les propagandistes de la politique coloniale israélienne. Ceux-là, à la tête de l’État hébreu ou idéologues au sein des communautés juives en France ou aux États-Unis, jouent avec le feu, préférant ce débat empoisonné à celui, tout à fait politique, sur la nature coloniale du conflit. L’existence de plusieurs organisations juives défendant les droits des Palestiniens est la réfutation vivante du discours antisémite. Il y a quelques jours, l’Union juive française pour la paix (UJFP), notamment, rappelait les termes de son communiqué du 17 mai 2009 : « Dieudonné, le fascisme et l’antisémitisme ne nous font pas rire. » Non sans ajouter que son discours prend d’autant plus facilement que les plus hauts responsables de notre société « affichent leur solidarité sans faille avec l’État d’Israël et lui assurent l’impunité pour tous ses crimes ».

[^2]: Voir Michel Bôle-Richard, Israël, le nouvel apartheid , Les Liens qui libèrent, 207 p., 19 euros.

[^3]: Il faut lire à ce sujet l’excellent livre de Michel Dreyfus, très complet et honnête, l’Antisémitisme à gauche (La Découverte, 2009).

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