Le « héros » était un criminel

Ariel Sharon, mort à 85 ans, a poursuivi toute sa vie un seul but : chasser les Palestiniens ou les éliminer pour construire le « Grand Israël ».

Denis Sieffert  • 16 janvier 2014 abonné·es

On aura admiré depuis l’annonce de la mort d’Ariel Sharon, samedi, la prudence des médias français. Des numéros d’équilibristes pour rappeler que l’ancien baroudeur de l’armée israélienne était un « héros pour les Israéliens » et un « criminel pour les Palestiniens ». Un simple rappel des faits permet de comprendre que la vérité ne se situe pas exactement à mi-chemin entre les deux. Ariel Sheinerman, dit Sharon, a gagné ses premiers galons en dynamitant toutes les maisons du village palestinien de Qibya, dans la nuit du 14 au 15 octobre 1953. À la tête de la sinistre Unité 101, il provoque la mort d’une soixantaine de civils, dont des femmes et des enfants. Sharon est alors âgé de 25 ans, et il entame une longue carrière jalonnée de massacres. Pendant l’expédition de Suez, en octobre 1956, il fait froidement exécuter des prisonniers égyptiens. Dans les années 1970, il organise des escadrons de la mort qui liquideront des dizaines de fedayins dans la bande de Gaza.

Mais le pire massacre dont il porte la responsabilité, c’est évidemment celui commis dans les camps de réfugiés de Sabra et de Chatila, au sud de Beyrouth, les 16, 17 et 18 septembre 1982. Là encore, on admirera la prudence des médias qui ont souligné qu’il « avait laissé faire » les phalangistes chrétiens. En vérité, l’armée israélienne a supervisé l’opération. Le général Rafaël Eitan, en lien direct avec Sharon, a participé à la réunion des phalangistes des Forces libanaises avant leur entrée dans les camps. Et tout au long du massacre, qui fera entre 800 et 1 500 victimes, toutes civiles, l’armée israélienne a assisté au carnage. Contraint de démissionner de son poste de ministre de la Défense, Sharon retrouve un portefeuille ministériel en 1996, dans le premier gouvernement Nétanyahou. En septembre 2000, Sharon se rend sur l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, marquant ainsi la volonté d’appropriation par Israël d’un lieu saint de l’islam. Manifestations, répression, vague d’attentats suicides, la deuxième Intifada commence. Devenu Premier ministre, il lance, en mars 2002, l’opération Rempart, causant des milliers de victimes et détruisant toutes les infrastructures de la société palestinienne. Il s’emploie aussi à neutraliser politiquement son ennemi de toujours, Yasser Arafat, assiégé dans la Muqata’a, à Ramallah, dont le leader palestinien ne sortira que pour aller mourir en France, en 2004. Mais Ariel Sharon ne fut pas seulement un chef de guerre brutal. Il a été un « politique » pour qui la fin justifie tous les moyens. Chef de file du Likoud, héritier de l’idéologue fascisant Zeev Jabotinsky, il a longtemps eu l’obsession du « Grand Israël », de la mer au Jourdain. Réaliste, il y renonça sans doute dans les dernières années de sa vie consciente, s’orientant vers une stratégie d’un État palestinien croupion.

En août 2005, Sharon réussit ** même un joli coup en faisant évacuer les colonies juives de la bande de Gaza. Si les naïfs ou les propagandistes ont tenté de faire prévaloir l’interprétation d’un geste de paix, il s’agissait surtout, comme l’a avoué l’un de ses conseillers, de se concentrer sur l’extension des colonies de Cisjordanie. Pour mener à bien cette stratégie, Sharon quittera même le Likoud et fondera, en 2005, Kadima (« En avant ! »), un parti qui risque bien de ne pas lui survivre. Alors, héros ou criminel ? Criminel, cela ne fait aucun doute. Quant à ceux qui considèrent un tel homme comme un héros, ils en disent long sur eux-mêmes.

Monde
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