La vie comme « projet »

Christine Tréguier  • 19 février 2014
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Comme le fait très justement remarquer Kevin Merigot sur son blog Shaarli, l’époque veut que tout un chacun ait un « projet ». Le mot est partout. Projet de carrière, projet bancaire, projet de développement, projet de société, projet de vie, projet de mort (parce qu’il faut bien négocier ses funérailles pour soulager financièrement les proches qui restent). Comme ils disent «   pour s’en sortir, il faut un projet  » , sauf qu’on ne sait toujours pas dans quoi on est rentré.

Un projet c’est, selon les définitions en vigueur, un dessein, une idée de ce qu’on pense réaliser, la conception des moyens qu’on croit utiles pour exécuter ce qu’on médite.

«   On demande aux pauvres d’avoir un projet , écrit Kevin, un chômeur doit avoir un projet. ..  » C’est la condition à la délivrance de son allocation chômage, qui n’est plus, depuis longtemps, une assurance. Autant les projets de riches tiennent sur deux feuilles et trouvent financement dans les 24 heures, en un coup de fil, autant les projets de pauvres exigent des dossiers pléthoriques. Ils se transforment en parcours du combattant qui vont durer des mois ou des années, voire en impossibles. «   Mr, Mme, nous sommes au regret… blablabla… votre projet n’est pas suffisamment abouti.   »

La preuve de la capacité d’un individu, c’est son projet. Sans cela, il est catalogué « sans but », raté, looser définitif, écarté des voies et de la vie communes. «   Le projet , explique encore Kevin, c’est le moyen d’oppression de classe par excellence. […]  On ne fait pas chier quelqu’un qui a un projet (qu’on lui a forgé et essentiellement imposé jusqu’à ce qu’il y souscrive) pour l’empêcher d’aller faire la révolution.   »

Alain, lui, en avait un de projet : il voulait bien aller travailler dans une commune des Landes, à 20 km environ de son domicile. Manque de chance, sa candidature n’a pas été retenue. Projet insuffisant sans doute. Et le maire de sa ville de résidence, lui, n’aime pas les pauvres sans projets. Il impose des TIG (travaux d’intérêt général) à ceux qu’il juge fainéants ou récalcitrants au travail (un sacrilège de nos jours). Alain a donc écopé d’un TIG… dans la commune où il postulait ! Ville où les droits de l’homme sont régulièrement méprisés. Il y bossera pour peau de balle pendant quelques mois. Trajets à ses frais, cela va de soi.

Pôle emploi et la CAF ont dû ruser leur système informatique pour enregistrer ses premières heures de boulot, faute de formulaire pour entrer un critère pas légal, comme 32 heures à zéro euro. Alain aura aussi des semaines de 48 h et non de 35. Le juge qui est intervenu, suite à la procédure lancée par la Confédération nationale du travail (CNT), n’a pas ordonné de saisie de son RSA (il n’aurait plus manqué que ça !), et son conseiller a suggéré qu’Alain effectue les allers-retours (2 heures sur des routes pentues) en vélo, pour économiser ses sous et rester en bonne santé. Il aura ainsi tout le temps de méditer et d’améliorer son projet de vie pour Pôle emploi et d’autres gestionnaires de destins précaires.

Pour la CNT de Toulouse, «   il y a atteinte à la dignité humaine et mise en danger de la vie d’autrui par asphyxie financière pouvant provoquer des préjudices indirects   » . Je dirais même plus, il y a atteinte au « droit au projet » d’Alain, droit dont dispose de facto tout citoyen. Le lui nier est une discrimination flagrante que le Medef et notre ministre du Travail (et des projets) se feront très certainement un plaisir de dénoncer.

**Et pendant ce temps là…
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L’Iran continue à assassiner ses poètes. Le dernier en date se nomme Hashem Shabaani, tué pour avoir « répandu la corruption sur terre » à travers ses poèmes…

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