Quand les villes veulent des champs

De plus en plus de municipalités tentent de maintenir les paysans proches des agglomérations, pour améliorer l’alimentation, favoriser l’emploi local et limiter le bétonnage. Un enjeu électoral.

Patrick Piro  • 20 février 2014 abonné·es

Loos-en-Gohelle, ancienne cité minière du Pas-de-Calais, 7 000 habitants, ses terrils en surplomb et… son agriculture, 800 hectares dédiés à la production intensive de céréales et de betteraves pour l’industrie agroalimentaire. Il y a trois ans, saisissant l’occasion de la cessation d’activité d’un exploitant, la commune signe un protocole pour gérer ses 15 hectares. L’appel à projets stipule que les agriculteurs installés devront convertir les terres en bio. La tension monte : des agriculteurs loosois auraient bien agrandi leur exploitation à l’occasion… Neuf d’entre eux, sur les seize que compte la commune, se porteront néanmoins candidats. Quatre sont retenus, ajoutant plus de 25 hectares au projet de relocalisation de la production alimentaire, absorbée par la restauration collective. Car la municipalité a modifié le cahier des charges des fournisseurs des cantines scolaires. « On y mange aujourd’hui bio à 100 % », affirme le maire Jean-François Caron (EELV). En projet : le rachat d’une ferme maraîchère pour créer un pôle de formation à destination des jeunes et une Maison de l’alimentation. La ville tente aussi de regrouper la demande municipale de ses voisines, Lens et Liévin, beaucoup plus urbanisées. « En 2013, un de nos agriculteurs est resté avec des tonnes de carottes bio sur les bras. Il faut aussi les aider à trouver des marchés locaux », explique le maire. Porté à la mairie au premier tour en 2008, avec 82 % des voix, il devrait être réélu sans peine.

Depuis quelques années, l’agriculture fait son retour à proximité des zones urbaines, d’où elle a été chassée par leur expansion, le développement de l’agriculture intensive et le commerce à grande échelle. Cette tendance sera l’un des thèmes du Salon de l’agriculture 2014, qui ouvre le 22 février. Petites et grandes agglomérations, conseils généraux (Gard, Pyrénées-Atlantiques…), plusieurs collectivités font machine arrière en modifiant l’affectation de la terre, préoccupés par l’aménagement du territoire, le développement de circuits courts « du champ à l’assiette », plus écologiques et pourvoyeurs d’emplois locaux. Attentifs aussi à la qualité de l’alimentation et à la dépollution des sols – le bio est souvent préconisé sur les parcelles récupérées. Mouans-Sartoux (10 300 habitants, Alpes-Maritimes) est à la pointe [^2]. Le plan local d’urbanisme réserve ainsi 10 % du territoire à l’agriculture, dont la production couvrira la consommation végétale de toute la ville. Un premier agriculteur vient de s’installer sur ces friches, et son engagement à produire bio lui vaudra l’aide de la municipalité. Dirigée par André Aschieri (EELV), la ville s’est dotée d’une régie agricole, une première en France. Elle gère un potager bio de 4 hectares, qui assure 55 % des approvisionnements en légumes des cantines. À Barjac [^3], commune rurale du Gard (1 600 habitants), on a sollicité le fonds d’investissement citoyen Terre de liens pour racheter 120 hectares, auparavant cultivés en blé. La municipalité y a facilité l’installation en bio d’éleveurs de porcs, de vaches, de volailles, et d’un boulanger. « J’étais atterré à l’idée qu’un village comme le nôtre finisse par perdre tous ses paysans !, s’émeut le maire Front de gauche Édouard Chaulet. En quelques décennies, leur nombre est passé de 80 à 40. » Des producteurs locaux ont depuis leur place sur le marché de la ville. La restauration scolaire et municipale est majoritairement bio. Production et consommation, deux branches inséparables de ces politiques de promotion de l’agriculture périurbaine : la réinstallation ou le maintien de paysans près des villes suppose qu’ils y trouvent un marché apte à les faire vivre.

La ville de Salon-de-Provence (43 000 habitants, Bouches-du-Rhône) l’a bien compris. Elle a fait sauter les blocages qui limitaient la qualité de la restauration collective : ainsi, pas de cerises ou de melon à la cantine, parce que l’approvisionnement « fruits et légumes » de la ville était couvert par un unique gros contrat. « Les petits cultivateurs locaux spécialisés, et garantissant des produits frais, étaient dans l’incapacité de s’aligner », explique Emmanuelle Cosson, directrice de la restauration collective. À partir de 2008, la municipalité (divers gauche) introduit des clauses « développement durable » dans ses marchés – 70 % du coefficient pour la qualité et l’environnement, et seulement 30 % pour le critère « prix » – et fractionne les lots « alimentation ». Aujourd’hui au nombre de 40, ils ont ouvert le marché municipal, mais aussi des points de vente locaux, à une vingtaine d’agriculteurs, souvent bio. « Il a fallu changer les méthodes de travail en cantine, mais la satisfaction est générale chez les producteurs, le personnel et les familles. Personne n’envisage un retour en arrière », se félicite Emmanuelle Cosson. Tous ces leviers, Toulouse, quatrième ville de France, les a actionnés à grande échelle : un marché alimentaire fractionné en 160 appels d’offres annuels avec des clauses bio pour moitié, des fournisseurs qui y adhèrent rapidement, un tiers des 30 000 repas scolaires quotidiens en bio et les deux tiers issus d’un périmètre équivalent à la région Midi-Pyrénées – et à coût inchangé… Mais aussi plus de la moitié des 300 hectares de « réserve foncière » communale arrachés au bétonnage pour constituer une régie municipale agricole orientée bio, avec une école de formation en vue, la tentative de réintroduire des races bovines locales, etc. « Un travail titanesque », commente Stéphane Veyrat, coordinateur de l’association Un plus bio, qui promeut l’alimentation de qualité en restauration collective. Élisabeth Belaubre, maire adjointe écologiste, en est largement à l’initiative. « Nous avons fait la preuve qu’une commande publique claire est capable de révolutionner des systèmes que la plupart des interlocuteurs considèrent comme impossibles à réformer. » Très impliquée, elle regrette cependant la timidité du maire PS Pierre Cohen sur plusieurs dossiers. Elle mènera sa propre liste pour l’élection municipale.

[^2]: Voir Politis, hors-série n° 59, novembre 2013.

[^3]: Rendue célèbre par le documentaire Nos enfants nous accuseront , de Jean-Paul Jaud.

Écologie
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