À Bagnolet, sept listes de gauche s’affrontent pour succéder à un maire communiste conspué

Dans cette commune à la porte de Paris, les scandales et la politique immobilière ont fait exploser la majorité. Le PS espère rafler la mise.

Erwan Manac'h  • 21 mars 2014
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À Bagnolet, sept listes de gauche s’affrontent pour succéder à un maire communiste conspué
© Photo : LIONEL LOURDEL / PHOTONONSTOP

Après 86 ans de gouvernance communiste à la mairie de Bagnolet, la fin de règne est peut-être pour bientôt. Le maire sortant, Marc Everbecq, candidat depuis plus d’un an pour un troisième mandat, fait l’unanimité contre lui. « Autoritaire », « clientéliste » , « corrompu » : les noms d’oiseaux fusent et l’équipe au pouvoir a volé en éclats, ajoutant de la confusion dans une bataille électorale qui se distinguait déjà par la division à gauche.

Tous fustigent une politique bétonnière « catastrophique ». Marc Everbecq s’est fait ériger une mairie gigantesque pour 40 millions d’euros, soit le double du prix initialement prévu en délibération du conseil municipal. Il mène une politique de grands travaux accusée d’avoir plombé les finances locales, tout en négligeant l’entretien de plusieurs écoles et d’un centre social contraint à la fermeture début mars par mesure de sécurité. Bagnolet, 4e ville la plus endettée de France, est assise sur 40,9 millions d’euros d’emprunts toxiques qui menacent de s’enflammer.

La mairie de Bagnolet inaugurée en novembre est déjà jugée «hors » par les opposants au maire sortant. - Photo : [Mairie de Bagnolet->http://www.ville-bagnolet.fr/]

« Je ne connais pas de maire pire que lui » , gronde Pierre Mathon, militant écolo bagnoletais et adjoint à l’urbanisme de 2001 à 2007, qui soutient la liste socialiste face à l’«  urgence absolue [de] faire partir l’équipe actuelle. » Pour Marc Everbecq, ce sont justement les « recours systématiques et politiciens de Mathon » contre ses projets d’urbanisme qui ont endetté Bagnolet. Ambiance.

Le dealer qui fait imploser la majorité

En juillet 2013, Marc Everbecq faisait l’objet de révélations ravageuses du Point et de Bakchich info , qui publiaient le PV des auditions d’un ex-employé municipal pour le moins encombrant. L’ex-directeur du centre technique municipal cachait dans ses locaux des armes de guerre, 11 kilos de cocaïne et 15 000 euros en liquide.

Interpellé le 7 juin, il « balance » allègrement : entré « par piston » à la mairie en 2006 pour « empêcher que les édifices communaux ne brûlent » , le boxeur de 35 ans aurait déployé des efforts pour inscrire et faire voter les jeunes, moyennant une promotion. Il aurait aussi selon ses dires été chargé de mettre de l’ordre manu militari dans les conseils municipaux. « Plusieurs employés municipaux ont essuyé quelques raclées, l’un d’entre eux étant depuis belle lurette en arrêt maladie » , écrit Le Point .

Des révélations qui ont consommé la rupture, déjà bien avancée, au sein de la majorité sortante. M. Everbecq a beau se dire « consterné » par ces déclarations et dénoncer une manigance d’extrême droite, il voit naître face à lui un front aussi hostile que divisé.

Pas moins de 6 listes de gauche se présentent contre lui dimanche :

  • Pour les socialistes, Tony Di Martino , passé dans l’opposition en 2008, se présente pour la seconde fois face aux communistes après un mandat en commun en 2001. Entouré de proches de Claude Bartolone et du député Razzy Hammadi, malmené dans la ville voisine de Montreuil tout aussi tempétueuse que Bagnolet, Di Martino promet une « gestion municipale assainie et transparente ».

Lire > L’OPA du PS sur la banlieue rouge

  • Le PCF, délaissant son maire sortant, a fait le choix en septembre de Laurent Jamet , actuel premier adjoint pour diriger une liste Front de gauche. « Les dissensions sont anciennes et sont allées crescendo , raconte Nathalie Simonnet, responsable départementale du PCF et habitante de Bagnolet . Nous avons conclu qu’il n’était pas possible de continuer avec la politique clientéliste menée par le maire sortant. » La responsable communiste décrit une gouvernance solitaire et besogneuse, qui a plombé les finances municipales. Une « traîtrise » , pour Marc Everbecq, qui raille le revirement tardif de son ancien bras droit.

  • Mohamed Hakem, ancien adjoint au maire recruté en 2008 par M. Everbecq dans une association de quartier, conduit cette fois une liste « citoyenne » , utilisant l’étiquette Front de gauche. Très vite déçu par la majorité communiste, il était démis de sa délégation à la vie de quartier après quelques moins de mandat. Il se présente avec le soutien de la Fase de Clémentine Autain et en alliance avec « du 9 à gauche », association locale adhérente au Front de gauche qui n’a pas trouvé d’accord avec les autres partis. 

  • EELV a aussi fait le choix de l’autonomie , depuis plus d’un an, derrière Mireille Ferri. La vice-présidente du conseil régional d’Île-de-France conduit elle aussi une liste « citoyenne », regroupant les opposants à la politique bétonnière de la majorité sortante, dictée selon eux par l’appétit des promoteurs immobiliers.

-Restent une liste du Parti ouvrier indépendant et celle de Lutte ouvrière, conduite par Jean-Pierre Mercier, leader CGT des PSA d’Aulnay-sous-Bois et militant LO depuis toujours. Élu municipal sortant, il figurait à la 7e place sur la liste d’Everbecq en 2008.

-La droite, qui se présente unie, devrait faire un score modeste qui lui assurera une présence dans l’opposition (16% et 3 élus en 2008).

Dans cette mêlée, les coups pleuvent. Injures et rumeurs fleurissent sur les réseaux sociaux. Le PS joue la carte du « tous pourris » contre « la gestion Everbecq-Jamet ». Marc Everbecq, que nous n’avons pu joindre, répond sur Facebook, et tance « la logorrhée PS » et le « baratin » sur les chiffres de l’endettement.

Illustration - À Bagnolet, sept listes de gauche s’affrontent pour succéder à un maire communiste conspué - Bagnolet vu de Google Earth

Béton armé

Sur fond de flambée du prix de l’immobilier (autour de 4 000 euros du m2), les listes de gauche critiquent surtout la politique immobilière d’Everbecq, plus attentive selon elle à l’intérêt des promoteurs qu’à la maîtrise des prix dans cette commune limitrophe du XXe arrondissement de Paris.

« On est dans une ville où rien ne se passe normalement » , regrette Mandana Saeidi, vacataire au centre socio-culturel Guy Toffoletti et 4e sur la liste de Mohamed Hakem. « Le moindre terrain libre a été vendu aux promoteurs privés. »

Encadrement des prix et politique de préemption : le PCF fait valoir ses solutions pour parer l’envolée des prix. « Cela fonctionne à Saint-Ouen, où les enjeux sont similaires. La mairie communiste a réussi à modérer la hausse des prix », assure Nathalie Simonnet.

Vers un mariage arrangé PS – Front de gauche ?

Le vote de premier tour peut déboucher dimanche sur une quadrangulaire indémêlable, mettant dos à dos le maire sortant et son ancienne équipe avec le PS comme arbitre.

EELV n’a pas grand-chose à gagner, mais conserve un pouvoir de nuisance. En 2001, les Bagnoletais votaient écolo à 20 % (5,71 % en 2008). « Ils se présentent pour se compter. C’est bien, mais cela risque de faire perdre le PS » , peste Pierre Mathon, lui-même adhérent à EELV, mais soutien de Tony Di Martino. « Le risque est donc que les communistes s’en sortent en faisant élire le premier adjoint. »

Le PS et le Front de gauche pourraient se résoudre à se rassembler, dans l’espoir d’exfiltrer Everbecq de la mairie. Ils devront surtout composer en fonction des accords passés par leurs familles politiques dans les autres villes de Seine-Saint-Denis, où PS et PCF s’affrontent. « Notre position dépendra aussi de l’attitude du PS dans les autres villes de Seine-Saint-Denis » , confirme Nathalie Simonnet.

« Di Martino pourrait être contraint de se retirer s’il arrive derrière le PCF et si la fédération socialiste lui demande , raconte Pierre Mathon. C’est donnant-donnant dans le département. »

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