Les «affaires», grand feuilleton de l’actu

Dans la foire des « affaires » politiques, les chaînes d’information s’en donnent à cœur joie dans la spectacularisation, sans aucune distance mais « en direct ».

Jean-Claude Renard  • 20 mars 2014 abonné·es
Les «affaires», grand feuilleton de l’actu

Tête baissée. Les journaux télévisés, quelques talk-shows et surtout les chaînes d’info en continu ont foncé bille en tête dans les dernières affaires politiques. Une franche rigolade à côté des affaires Leonarda ou Cahuzac, moins pourvues de tiroirs, d’allures de matriochka et de ricochets.

« Nouvel épisode dans l’affaire des écoutes » ; « une ministre secouée »  ; « dans la tourmente »  ; une « communication brouillonne de l’exécutif »  ; des « mensonges et manipulations » ; « de nouveaux éléments sont arrivés » , avant de monter d’un cran : « un Watergate français ? » ; « le pouvoir vacille » ; « Jean-Marc Ayrault descend une nouvelle fois dans l’arène » ; « secrets et mensonges » ; « contre-feu orchestré » ; « climat délétère à quelques jours des municipales »  ; « Jean-François Copé reprend l’offensive » . Dans tous les cas, haro sur Christiane Taubira et détournement de l’information. « Doit-elle démissionner ? » , demande Karine de Ménonville à Georges Fenech (député UMP du Rhône, ancien magistrat), sur BFM TV ; « Non, je ne démissionnerai pas ! » , répond la garde des Sceaux ; « retournement incroyable en quelques jours, dit Ali Baddou dans la « Nouvelle Édition » sur Canal +, c’est ce qu’il y a de magique dans la politique ! »  ; « le sujet est de savoir si Taubira a menti ou non » , s’exclame Patrick Devedjian. On apprendra plus tard que sa dircab, Christine Maugüé, aurait omis de lui transmettre l’information.
Le sujet ne serait donc plus de savoir si Nicolas Sarkozy s’est livré ou non à un trafic d’influence. La droite rejette sur le PS ses propres turpitudes, mais les chaînes en font peu cas, quittant le champ judiciaire pour le champ politique et surtout médiatique.

Et d’employer une terminologie particulière, tout un registre emprunté à la guerre qui s’accommode très bien de jingles anxiogènes. Des éléments de langage qui tiennent et maintiennent en haleine, font récit. Il s’agit toujours de raconter une histoire, de feuilletonner. C’est la fameuse formule de Pasqua : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. »

Du dictaphone de Patrick Buisson, avec ses heures d’enregistrement, aux coups tordus rattrapant Nicolas Sarkozy, des gaffes en communication de Christiane Taubira aux malversations de Jean-François Copé en passant par des agendas retenus par la justice, voilà du très lourd. De l’emballement dans l’emballement. Une aubaine pour les chaînes d’information en continu, qui s’en donnent à cœur joie (au passage, on remarquera que les télés puisent leur matière dans la presse papier, en l’occurrence le  Monde ).

Quand le parquet de Paris ordonne une enquête préliminaire sur les finances de l’UMP, et particulièrement sur Jean-François Copé et les marchés conclus avantageusement avec la société Bygmalion de son acolyte Bastien Millot (accessoirement expert média chez Jean-Marc Morandini, sur Europe 1 , avant de se retirer ce 11 mars), c’est à ne plus y tenir. Pour repartir de plus belle. Et l’affaire Cahuzac de revenir sur le terrain à travers les aveux d’une épouse congédiée révélant l’existence d’un compte sur l’île de Man.

Et d’aller encore chasser, traquer la ministre de la Justice en visite au tribunal de Bobigny ou à l’Élysée pour un rendez-vous présidentiel privé. Elle s’est expliquée au sortir du Conseil des ministres, elle a répondu à une interview au Monde, elle est encore au « Grand Journal » de Canal[^2]. Pourtant peu coutumiers du fait, même les journaux de 8 heures de France Inter se sont mis à ce story telling

Faut bien faire durer. Il convient d’alimenter le récit, de capter l’attention encore et encore, de nourrir son sujet à coups d’épisodes, sans cesse renouvelés, de tirer les fils, l’un succédant à l’autre. D’exacerber les « coups de théâtre » , de rajouter du «  rebondissement  », des « sous pression » , de spectaculariser toutes les affaires, sans rien apporter de nouveau. Pour une information sans distance, sans discernement ni recul, sans réelle analyse ni décryptage. Qu’importe, « vous l’avez suivi en direct ».

[^2]: Où Antoine de Caunes a dit son admiration pour le dernier livre de Christiane Taubira.

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