Pic de pollution : un débat très brumeux

L’épisode d’intense pollution de l’air qu’ont subi plusieurs agglomérations françaises s’est dilué dans des polémiques esquivant les questions de fond.

Patrick Piro  • 19 mars 2014 abonné·es

Une « opération de communication » , comme le balaie Jean-François Copé, président de l’UMP ? Des mesures « cache-misère » , selon Nathalie Kosciusko-Morizet, candidate UMP à la mairie de Paris ? Les écologistes en partie responsables de la reconduction de la flotte de bus diesel à Paris, comme l’allègue sa concurrente socialiste Anne Hidalgo ? Une dizaine de jours d’épais brouillard jaune sur les villes, la mise en place de la circulation alternée à Paris et dans les trois départements limitrophes, la proximité du premier tour des municipales : le cocktail parfait, entre urgence et démagogie, pour noyer le poisson. Paradoxe : ce très préoccupant épisode de pollution de l’air, l’un des plus intenses de ces deux dernières décennies à Paris, n’aura guère permis de faire ­progresser la compréhension collective du phénomène ni l’acceptation des mesures à prendre.

Le point sur une situation un peu plus complexe qu’il n’y paraît.
D’où vient cette pollution ?

Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa) ou Airparif (Paris et Île-de-France) et ses cousins régionaux fournissent des observations précises. Si l’on considère les particules fines, parmi les plus nocives de toutes les émissions, ce sont les industries (31 %) et la combustion domestique de bois (30 %) qui émettent le plus de particules d’un diamètre inférieur à 10 micromètres (les PM10), responsables de milliers de morts prématurés par an et de maladies pulmonaires et vasculaires. La route n’intervient que pour 15 %, et ce derrière l’épandage d’engrais qui émet des poussières dans l’air.
Un palmarès qui a fait protester les partisans de la voiture, estimant que la circulation alternée la désigne comme bouc émissaire.

Cependant, ce ne sont pas les émissions globales mais la qualité locale de l’air qui pose les problèmes les plus aigus. Airparif montre ainsi que dans l’agglomération parisienne, la voiture est responsable du quart des émissions de PM10, à peu près à égalité avec le chauffage des habitations.

**Le diesel a-t-il trop bon dos ?
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Non. C’est le principal émetteur de particules fines du secteur automobile. Plus de 60 % du parc roulant consomme du gazole, qui a représenté, en 2013, les quatre cinquièmes du volume des carburants consommés en France (ces véhicules roulent plus que les autres). Et les filtres obligatoires sur les diesels neufs (les deux tiers des ventes annuelles de voitures en France) n’ont qu’un impact réduit, car le parc se renouvelle lentement, les diesels étant réputés pour leur longévité.

La France affiche une singulière dépendance à la motorisation diesel, motivée par le choix de ses constructeurs automobiles, soutenus par une fiscalité avantageuse – des aides équivalentes à 7 milliards d’euros par an. Le gouvernement a pourtant ajourné le projet de démanteler ce dispositif, et aucune rumeur n’indiquait un revirement ces derniers jours : le sujet est politiquement très sensible.

**La faute aux pays voisins ?
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Pendant plusieurs jours, les flux d’air venus de l’Est ont rabattu sur la France des pollutions émises au-delà des frontières du pays. La circonstance n’est pas fréquente. De fait, plus de 60 % des particules fines en région parisienne ont une origine locale. Une politique européenne cohérente sur la qualité de l’air est une nécessité, mais les actions locales restent prioritaires.

La circulation alternée est donc une mesure efficace, même si instaurée un jour unique, lundi 18 mars, et en fin de pic de pollution, elle n’aura eu qu’une portée symbolique.

**Qui sont les plus touchés ?
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Certes, les quantités de polluants émises baissent, en moyenne, grâce aux efforts de l’industrie, aux normes pour les voitures neuves et à l’amélioration des appareils de chauffage. Cependant, le paramètre sanitaire décisif est la concentration locale en polluants de l’air respiré. Les concentrations ne dépendent pas uniquement des émissions, mais de ce qu’elles deviennent sous l’influence du climat (vent, pression) et de la chimie atmosphérique (sous l’effet du rayonnement solaire notamment). Or, les concentrations n’ont guère baissé, elles ont même parfois augmenté. Les normes européennes sont régulièrement ­dépassées dans plusieurs endroits depuis plus d’une décennie, ce qui aurait déjà dû valoir à la France de fortes amendes.

Et cela concerne notamment les particules les plus nocives, celles que l’on appelle les PM2,5, d’un diamètre quatre fois inférieur à celle des PM10, à forte capacité de pénétration dans les tissus pulmonaires et classées cancérigènes. Et là, le constat est sans appel : à proximité des grands axes routiers franciliens, où respire plus du tiers de la population de la région, la moitié des PM2,5 proviennent de la circulation. Les effets sanitaires les plus graves sont observés chez les populations les plus vulnérables et les plus exposées – enfants, personnes âgées et familles à faible revenu, vivant plus souvent que d’autres à proximité des grands axes routiers. Comme la plupart des problèmes sanitaires, la pollution de l’air a une dimension sociale importante.

Écologie
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