« Son Épouse », de Michel Spinosa : Une femme réapparaît, mystère indien

À travers un cas de possession, Michel Spinosa a filmé une extraordinaire histoire d’amour.

Christophe Kantcheff  • 13 mars 2014
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La mort a décidément des représentations plus riches en Orient qu’en Occident. Non qu’elle soit moins tragique de ce côté-là du globe, mais on la cache moins, et le rapport aux défunts – aux défunts eux-mêmes plus qu’à leur souvenir – y est plus familier. On l’a vu notamment dans Oncle Boonmee, du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, avec ses grands singes fantomatiques et ses réincarnations.

C’est dans cet esprit que Michel Spinosa, après Anna M. (2007), est allé tourner en Inde une histoire qui relèverait du fantastique dans nos sociétés cartésiennes, sinon rationalistes, mais qui dans ce pays est inscrite dans le quotidien. Catherine, qui a quitté la France et son mari, Joseph, parce que celui-ci lui a injustement reproché le décès accidentel de leur enfant à la naissance, vient de mourir en Inde, où elle s’était exilée. Mais Catherine n’a pas totalement disparu. Son esprit s’est immiscé dans celui d’une jeune Tamoule, Gracie, qui est, dès lors, possédée par la Française, dont elle était devenue l’amie. Son Épouse raconte une histoire d’amour extraordinaire, qui passe, pour les spectateurs que nous sommes, par d’inhabituelles manifestations. Malgré leur séparation et le silence que la jeune femme avait instauré, Catherine et Joseph n’avaient pas fini de se parler. D’où cette possession de la défunte Catherine sur Gracie, afin que Joseph, qui se rend lui-même en Inde, puisse dire à son épouse les paroles qui les libéreront tous deux, elle dans le royaume des morts, lui avec son avenir.

Au gris des séquences françaises – mais elles sont très fortes, et la complicité des deux comédiens, Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal, n’y est pas pour rien – répond l’éclat des couleurs indiennes. Celles-ci ne font pourtant jamais « touche pittoresque », et le regard porté par la caméra sur l’Inde – la région du Tamil Nadu – n’a rien de touristique. C’est suffisamment rare pour être souligné. Le cinéaste fait là non du cinéma politique mais politiquement du cinéma, selon la fameuse expression de Jean-Luc Godard. Michel Spinosa a ancré son histoire dans le pays où il a tourné. Il a nourri sa fiction de lieux réels, comme le sanctuaire thérapeutique, fondé autour d’une église, où le cinéaste a filmé de véritables possédés, écartant tout effet de mise en scène. Quant aux personnages tamouls, ils ont plus qu’une existence. Gracie en tête, interprétée par Janagi, une comédienne débutante à l’évidente présence, ils sont de plain-pied dans le récit, au même titre que Joseph, qui cherche à comprendre, et qui par là bouscule ses hôtes autant qu’il est bousculé. S’il veut entrer dans le mystère, Joseph ne peut se « confronter » à cette civilisation qu’avec humilité. Le parcours qu’il accomplit va autant vers l’Autre qu’il s’inscrit en lui-même. Yvan Attal incarne à la perfection cet homme blessé, replié sur son malheur, qui s’ouvre peu à peu, jusqu’à la délivrance. Son Épouse est un film splendide sur l’altérité et sur « l’inquiétante étrangeté » qui cache, le plus souvent, une brûlante intimité.

**Son Épouse** , Michel Spinosa, 1 h 47.
Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes
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