TTIP : Les dégâts de l’arbitrage privé contre les Etats

Un rapport de l’Observatoire de l’Europe industrielle et du Transnational Institute révèle les dommages causés par la procédure d’arbitrage privée entre investisseurs et Etats, souhaitée par les États-Unis et l’Union européenne dans le cadre de la négociation pour un grand marché transatlantique.

Thierry Brun  • 13 mars 2014
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L’Observatoire de l’Europe industrielle (Corporate Europe Observatory, CEO) et le Transnational institute (TNI) ont publié le 10 mars un rapport intitulé « Profiter de la crise » (Profiting from crisis : how corporations and lawyers are scavenging profits from Europe’s crisis countries), qui révèle les méthodes juridiques utilisées par les entreprises et les cabinets d’avocats des investisseurs touchés par la crise économique européenne.

Illustration - TTIP : Les dégâts de l’arbitrage privé contre les Etats

Le document révèle une « vague croissante » de poursuites juridiques lancées contre les États membres en difficulté, venant d’investisseurs spéculatifs touchés par la crise économique européenne. Selon les ONG, les fonds spéculatifs, aussi nommés fonds vautours, à la recherche de retour sur investissement rapide, réclament « plus de 1,7 milliards d’euros de compensation à la Grèce, l’Espagne et Chypre » en utilisant les procédures d’arbitrage privés dans le cadre d’accords commerciaux sur les investissements, comme le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI, TTIP en anglais), en négociation entre les États-Unis et l’Union européenne.

Le système d’arbitrage privé investisseur-État (Investor-State Dispute Settlement, ISDS) est un cadre juridique spécifique qui permet aux entreprises multinationales d’attaquer, via des traités sur le commerce et l’investissement, un pays qui aurait pris ou qui souhaiterait prendre des mesures sociales ou environnementales pour protéger sa population. Cette procédure de règlement des différends investisseurs-Etats a par exemple été créée en 1994 et mise en œuvre dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui dispose de son organe de règlement des différents (ORD).

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« Les investisseurs spéculatifs utilisent ces accords d’investissement pour piller les Trésors publics à court de liquidités des Etats européens en crise. Ce serait une folie politique d’accorder aux sociétés ces droits excessifs dans le cadre d’un accord commercial de grande envergure entre les États-Unis et l’Union européenne » , s’insurge Pia Eberhardt, de l’Observatoire de l’Europe industrielle, coauteur du rapport.

Selon Cecilia Olivet, du Transnational Institute, également coauteur du rapport, « dans cette période où les citoyens ordinaires sont dépouillés de nombreux droits sociaux de base, il est pervers que l’Union européenne soutienne un régime international d’investissement qui offre une protection de VIP aux investisseurs étrangers spéculatifs. Il est temps de rejeter un système de justice privatisée favorable aux entreprises prédatrices, qui sape une réglementation cruciale pour l’intérêt public » .

« Le risque est encore plus prégnant étant donné que les entreprises européennes et américaines savent très bien comment le système fonctionne, puisqu’elles sont à l’origine de la majorité (64 %) des litiges entre investisseurs et État au niveau mondial » , poursuit le document.

Rappelons que l’accord de partenariat transatlantique « prévoira la libéralisation réciproque du commerce des biens et services ainsi que des règles sur les questions en rapport avec le commerce, avec un haut niveau d’ambition d’aller au-delà des engagements actuels de l’OMC » , indique le mandat de négociation de la Commission européenne.

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Le nombre de cas d’arbitrages répertoriés est monté en flèche passant de 38 en 1996 à 450 en 2011, selon Centre international de règlement des différends liés à l’investissement (CIRDI), avec un coût moyen de 8 millions de dollars (5,8 millions dʼeuros) par litige.

Illustration - TTIP : Les dégâts de l’arbitrage privé contre les Etats

« En 2012, le nombre de différends entre investisseurs et États soumis à l’arbitrage international a battu un nouveau record, montrant une nouvelle fois la nécessité d’engager un débat public sur l’efficacité de ce mécanisme et la manière de le réformer » , prévient la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), dans un rapport publié en avril 2013. 518 différends investisseur-État ont été recensés en 2012, impliquant des millions de dollars et sapant, dans de nombreux cas, des politiques démocratiques.

« Il s’agit en fait de créer un marché commun qui sera soumis à un organe d’arbitrage contraignant sur le modèle de l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Un pas de géant sera franchi vers la dépossession de notre destin, un recul de plus, considérable, de la démocratie, dont ne profiteront que les firmes américano-européennes. C’est la fin de tout espoir d’une Europe européenne » , explique Raoul Marc Jennar [^2], spécialiste des accords commerciaux internationaux, consultant au Parlement européen auprès de la Gauche Unitaire Européenne (GUE), de 2005 à 2007.

[^2]: Ce spécialiste des questions européennes et du droit de l’Organisation mondiale du commerce a publié Le Grand marché transatlantique : la menace sur les peuples d’Europe, Cap Béar Editions, 2014.

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