Ukraine : le coup d’après

L’annexion de la Crimée par la Russie peut aussi bien solder le conflit qu’augurer une autre étape qui serait désastreuse

Denis Sieffert  • 20 mars 2014 abonné·es
Ukraine : le coup d’après

Sans aucun doute, le référendum du 16 mars en Crimée a été une mascarade. Organisé sous la botte des militaires russes, alors que les opposants pro-ukrainiens étaient interdits d’expression publique, le scrutin ne pouvait conduire qu’à l’issue que l’on connaît : 93 % de « oui » au rattachement de la Crimée à la Russie. Et Vladimir Poutine pouvait, quelques jours plus tard, parachever son hold-up en signant un décret d’annexion. Cela dit, cette opération pseudo-électorale n’a rien à voir, par exemple, avec l’annexion de Jérusalem-Est par les Israéliens, en 1980, opérée au mépris des Palestiniens.

Car, dans le cas présent, on ne peut nier que la grande majorité de la population de Crimée souhaitait ce rattachement à la Russie. Totalement illégal, le procédé a donc un fond de légitimité. Ce qui aurait pu donner lieu, dans un autre contexte, à un processus négocié. Bien sûr, au lendemain de ce coup de force, Européens et Américains manifestent leur indignation.

Des sanctions sont prises contre une vingtaine de responsables russes et pro-russes de Crimée, dont les avoirs seront gelés et qui seront privés de visas. Autant dire que ces décisions sont d’une portée symbolique.
Mais la vraie question est évidemment politique. Si Poutine considère qu’il a sauvé la face, et assuré ses intérêts stratégiques avec la prise de la Crimée, la péninsule se trouvera certes dans une situation de non-droit international, mais encore une fois, l’exemple de Jérusalem-Est qui, trente-quatre ans après, n’est pas reconnu comme capitale d’Israël, ni par l’ONU, ni par les Européens, ni même par Washington, démontre que le fait accompli peut, dans ce monde, prévaloir durablement sur le droit.

L’importance des échanges entre la Russie et l’Europe fera le reste. Et une normalisation des relations finira par s’imposer. C’est l’hypothèse optimiste. Elle est loin d’être évidente. Comme il n’est pas du tout certain que Poutine se satisfera de la perte stratégique de la totalité de l’Ukraine, de son rattachement progressif à l’Union européenne, en commençant par la signature du fameux accord d’association. Le risque est plus grand encore si Européens et Américains continuent d’agiter le spectre d’une intégration à l’Otan, hantise de Vladimir Poutine. À cet égard, on peut regretter que la France ne puisse plus jouer un rôle de médiation, puisque Nicolas Sarkozy a fait rentrer notre pays dans le commandement intégré de l’Otan, rompant avec la politique d’indépendance de De Gaulle. Et que François Hollande s’est empressé de confirmer cette décision désastreuse.

De l’autre côté, le risque est que Poutine souffle sur les braises à l’est de l’Ukraine, relançant le vieil alibi stalinien de l’aide apportée aux peuples frères. Les troupes massées à Rostov-sur-le-Don, tout près de la frontière ukrainienne, laissent planer la menace d’une intrusion qui nous ferait plonger dans l’inconnu. La solution, c’est aujourd’hui la préparation dans des conditions démocratiques de l’élection présidentielle du 25 mai. En espérant que rien d’irréversible ne se produira avant cette date.

Il revient à la communauté internationale, via l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de veiller au bon déroulement de cette transition, du scrutin et de ses lendemains. Entre autres choses, les Européens devront faire pression pour que le gouvernement issu de cette élection se débarrasse de personnages encombrants du parti fascisant Svoboda, notamment.

Très minoritaires, ils alimentent cependant la propagande russe et devraient être de toute façon incompatibles avec les principes affichés par l’Europe. Mais nous n’en sommes pas encore là. Loin s’en faut.

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