Aveuglement coupable

Beaucoup de nos concitoyens se sont sentis floués. Avec la nomination de Manuel Valls, ils risquent de se sentir agressés.

Denis Sieffert  • 3 avril 2014 abonné·es

Les mauvaises langues diront qu’en nommant Manuel Valls à Matignon, François Hollande n’a fait, finalement, que prendre acte de la victoire de la droite et de la poussée du Front national aux élections municipales. Il ne pouvait tout de même pas nommer Jean-François Copé ! Et le pire, c’est qu’en disant cela, on ne doit pas être très loin des raisons qui ont réellement guidé le président de la République. Car, sans préjuger le Premier ministre que sera Manuel Valls, la symbolique droitière ne peut évidemment échapper à personne. Après avoir été raillé pour sa faiblesse, son indécision, et parfois sa confusion, François Hollande appelle « Monsieur Muscle » à la rescousse. Mais il commet peut-être deux erreurs. Psychologique, d’abord, parce qu’il semble déléguer l’autorité à un autre, et en l’occurrence un homme dont les ambitions sont connues et dont, par conséquent, la loyauté n’est pas assurée.

L’autre erreur est beaucoup plus politique. Elle porte sur le sens à donner à la débâcle électorale de dimanche. Certes, l’UMP a repris quelque 155 villes à la gauche, et le Front national en a conquis une douzaine, mais il n’y a eu en réalité ni « vague bleue » ni « vague bleu Marine ». La victoire de la droite est toute relative. Le seul événement, c’est l’abstention massive de l’électorat de gauche. L’unique vérité absolue du scrutin, c’est la déception et la colère de ceux qui avaient massivement voté pour François Hollande en mai 2012. Or, en choisissant l’homme le plus à droite de son équipe, le président de la République délivre un nouveau message négatif aux abstentionnistes de dimanche. On pourrait presque parler de provocation si la provocation était dans la manière de François Hollande. Parlons plutôt de l’aveuglement d’un homme dont l’imaginaire politique ressemble parfois à celui d’une calculette. Comme il était étrange, lundi soir, de l’entendre affirmer qu’il n’oubliait pas « ceux qui [lui] ont fait confiance et qui [l’] ont élu », en conclusion d’un discours qui disait tout le contraire. Sans vouloir emboucher le clairon du lyrisme républicain, on a tout de même envie de lui rappeler un mot qui ne semble plus appartenir à son vocabulaire : le peuple.

C’est pourtant lui, le peuple, qui s’est rappelé dimanche à son bon souvenir. Mais, depuis le lendemain de son élection, François Hollande semble s’ingénier à prendre à rebrousse-poil ces gens qu’il « n’a pas oubliés ». Nous, vous, et tant d’autres. Certes, le discours du Bourget de janvier 2012 n’est pas le Petit Livre rouge de Mao Zedong, mais c’est tout de même une référence pour tous ces électeurs qui l’ont porté à l’Élysée. Une référence que François Hollande a lui même choisie. On a beau nous refaire le coup du « déficit de pédagogie », et du « défaut de communication », la vérité c’est que beaucoup de nos concitoyens se sont sentis floués. Avec la nomination de Manuel Valls, ils risquent de se sentir agressés. Au lendemain de la présidentielle, François Hollande avait à faire un choix douloureux. C’était soit les électeurs, soit Standard and Poor’s. Soit les citoyens, soit le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires. Soit le chômage, soit les déficits. François Hollande a choisi Standard and Poor’s et M. Olli Rehn. Et qui plus est, sans succès, puisque malgré la cure d’austérité, les déficits dépassent encore les prévisions les plus pessimistes. Le 27 mars, en signifiant leur déception et leur colère, les Français auraient donc pu espérer un sursaut démocratique. Or, c’est tout le contraire qui se produit. Lundi soir, pour toute réponse à ses électeurs déçus, François Hollande a servi, en plus de l’indigeste promotion de Manuel Valls, une grosse tranche de pâté d’alouette. L’alouette, c’est ce « pacte de solidarité » qui avait tout l’air d’avoir été inventé dans la journée pour faire illusion en face du fameux pacte de responsabilité. On peut facilement prévoir ce qu’en diront les électeurs pour les européennes du 25 mai. En attendant, on se tournera vers tous ceux qui ont encore l’ambition de représenter la gauche.

L’intransigeance de Cécile Duflot et de Pascal Canfin, qui n’ont pas cherché à marchander leur présence dans le gouvernement Valls, est plutôt réconfortante. S’ils ne sont pas doublés par certains de leurs petits camarades trop impatients, la reprise d’indépendance des écolos devrait ouvrir de nouveaux horizons à gauche. Encore faudrait-il que Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent surmontent leurs désaccords (voir à ce sujet l’article de Pauline Graulle page 7). Et que la fameuse grogne au sein du Parti socialiste (la gauche du PS a produit dimanche un texte intéressant, à lire sur Politis.fr) mène quelque part. Mais on ne se fait pas trop d’illusions de ce côté-là, même si de nombreux parlementaires commencent à craindre pour leur avenir. Les socialistes, on le sait, possèdent mieux que personne l’art de la synthèse. Mais après la nomination de Manuel Valls et le discours droitier de François Hollande, il s’agit à présent de marier l’eau et le feu.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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