Ruineux dumping fiscal

Une enquête décortique la concurrence entre États et rouvre le dossier de l’harmonisation fiscale européenne.

Thierry Brun  • 24 avril 2014 abonné·es

Les investigations du journaliste belge Éric Walravens font passer les nombreux rapports parlementaires français sur la fraude et l’évasion fiscales pour d’aimables conversations de bureau. Il explore les coulisses d’un chantage à l’attractivité fiscale qui contribue à délégitimer l’impôt, dans une Union européenne engagée dans une compétition à tous crins.

En effet, nombreux sont les États ou territoires qui misent ouvertement sur une clientèle fortunée ou les holdings de multinationales. Ils multiplient les avantages fiscaux pour attirer les cadres, les stars, les investisseurs, les sportifs de haut niveau : bref, tous ceux qui sont jugés désirables. En Europe, la concurrence est telle que les pouvoirs en place n’hésitent pas à piétiner un principe fondamental : la progressivité de l’impôt, en vertu de laquelle les plus aisés contribuent davantage à la solidarité. Ainsi, les rentiers français et néerlandais (quand bien même « les Pays-Bas sont assez libéraux, et même un paradis fiscal pour les stars du show-business » ) sont nombreux à s’installer en Belgique… où les revenus du travail sont plus taxés que « nulle part ailleurs dans le monde ». La Belgique s’est transformée en un paradis fiscal pour les riches et les multinationales, alors qu’elle est un enfer fiscal pour les travailleurs. C’est notamment « l’un des seuls pays occidentaux à ne pas taxer les gains réalisés sur la revente d’actifs, un régime qui lui vaut d’être un lieu de prédilection pour les holdings financières ». La concurrence fiscale est aussi une aubaine pour les conseillers fiscaux, qui ne manquent pas d’imagination pour aider les multinationales à réduire leur contribution. L’auteur montre notamment comment l’industrie cinématographique a connu un coup d’accélérateur en Belgique, en raison d’une niche fiscale très attractive, le « tax shelter », qui en fait l’un des leaders européens, « loin devant la France », avec près de cinq films produits par million d’habitants. Le business de la délocalisation du cinéma français est ainsi devenu une spécialité, que la plupart des pays européens s’attachent à copier.

Éric Walravens estime que deux enjeux sont désormais centraux : la transparence des revenus et la refonte de l’impôt des sociétés. Mais, faute d’une pression citoyenne médiatiquement et politiquement soutenue, le manège de l’évitement de l’impôt continuera de tourner. Le journaliste plaide pour une convergence des politiques budgétaires en Europe, et en faveur d’une souveraineté européenne. Il reconnaît toutefois les limites de ce compromis, utopique dans une UE élargie. Car cette souveraineté doit être fondée sur une solidarité politique et économique autour d’un noyau d’États partants pour relancer la construction européenne. Ce qui est loin d’être envisagé.

Idées
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