Cannes 2014 : « Qui vive » de Marianne Tardieu ; « Les Nouveaux sauvages » de Damian Szifron

Christophe Kantcheff  • 17 mai 2014
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Cannes 2014 : « Qui vive » de Marianne Tardieu ; « Les Nouveaux sauvages » de Damian Szifron
Photo Qui vive : © Rezo Films

« Qui vive » de Marianne Tardieu

Illustration - Cannes 2014 : « Qui vive » de Marianne Tardieu ; « Les Nouveaux sauvages » de Damian Szifron

À Cannes, l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (Acid) tient la forme. Notamment depuis l’an dernier, le retentissement de la Bataille de Solferino , de Justine Triet, et le succès inattendu d’ Au bord du monde , de Claus Drexel, sa programmation sur la Croisette est désormais regardée de près par les médias et suivie par un public de plus en plus nombreux. À la séance de 20 heures, au cinéma des Arcades, ce sont maintenant deux salles qui sont ouvertes, totalisant 450 places. Mais malgré cette capacité élargie à recevoir le public, l’Acid, la mort dans l’âme, se voit encore dans l’obligation de refuser du monde.

Cela a été encore le cas hier soir, avec Qui vive , le premier long métrage de Marianne Tardieu qui peut se targuer d’avoir à son casting Adèle Exarchopoulos. Encore tout auréolée de la palme d’or de l’an passé pour la Vie d’Adèle , la jeune actrice est présente ici cette année grâce à l’Acid. On la retrouve dans un rôle d’institutrice prénommée Jenny, qui confectionne pour ses élèves comme pour elle-même de petits films d’animation. Mais elle est aussi, et surtout, l’amoureuse de Chérif, un jeune plus tout jeune, à l’orée de la trentaine, candidat pour la quatrième fois à l’examen d’infirmier et qui, en attendant, est obligé d’habiter chez ses parents, dans une cité en banlieue, et de travailler comme vigile dans un centre commercial.

Marianne Tardieu a eu l’excellente idée de confier le rôle à Reda Kateb, acteur déjà très remarqué chez Jacques Audiard ou Kathryn Bigelow. À Cannes, cette année, il est aussi à l’affiche du film de clôture de la Semaine de la Critique, Hippocrate , de Thomas Lilti.

Reda Kateb tient le film de bout en bout , offrant à son personnage son visage doux qui peut vite se refermer, ses regards charmeurs ou désemparés. Il compose un Chérif qui tarde à trouver sa place d’adulte dans un monde qui ne l’attend pas. Il se donne du mal pour travailler son examen, mais il n’a pas forcément le bagage scolaire suffisant. Il accomplit le job de vigile au mieux, même s’il n’a pas la vocation répressive.

Un autre atout du film réside dans l’impression de justesse qu’il donne dans la description de la vie de la cité, où les copains de Chérif, interprétés notamment par Rashid Debbouze et Moussa Mansaly, semblent restés là depuis l’enfance (quand on est né dans une cité, il est difficile d’en sortir). La caméra ne cadre jamais ce qui serait pittoresque, c’est l’action qui guide la caméra, et pourtant celle-ci semble en immersion dans le lieu. L’urbanisme des cités est manifestement une langue cinématographique familière à Marianne Tardieu.

La manière dont la cinéaste envisage les clivages à l’intérieur d’une même classe sociale, la classe populaire, et plus particulièrement les précaires s’avère aussi d’une grande pertinence. Son récit se développe ainsi à partir d’une confrontation entre Chérif et des jeunes garçons qui traînent près du centre commercial et ne cessent de lui chercher des noises, de le provoquer. Chérif se retrouve ainsi pris dans des contradictions et un conflit gros de violences. La résolution finale témoigne, de la part de Marianne Tardieu, d’un regard sur la situation et sur ses personnages tout en subtilité et en intelligence.

« Les Nouveaux sauvages » de Damian Szifron

Ce soir, la compétition nous a réservé une grande et belle surprise : le troisième film, Les Nouveaux sauvages (Relatos Salvajes), d’une jeune cinéaste argentin jusqu’ici peu connu en France, Damian Szifron. Ce film à sketches, dont tous sont absolument réussis, renoue tout bonnement avec la tradition de la comédie satirique italienne des années 1950 et 1960, avec quelque chose de plus noir encore – question d’époque. Remercions Thierry Frémaux de l’avoir programmé, pour la presse, juste après le pesant (et long, 3h16) Winter Sleep , de Nuri Bilge Ceylan, trop appliqué à faire une grande œuvre avec un thème inspiré de Tchekhov.
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L’histoire sans doute la plus emblématique** des Nouveaux sauvages met en scène un automobiliste dans sa BMW qui, lorsqu’il double une vieille guimbarde qui lui a un peu entravé le chemin, insulte le conducteur de celle-ci et lui lance un doigt d’honneur. Mais la BMW crève. Et le chauffeur insulté retrouve son calomniateur. Les deux hommes vont se livrer un combat jusqu’à la mort.

Que se passerait-il si nous cédions à nos pulsions ? C’est ce terrible spectacle que nous montre les Nouveaux sauvages . Si l’humour est ravageur, il s’accompagne aussi de la conscience que la violence se débride toujours davantage. Pas seulement la violence physique, mais aussi symbolique et sociale. Ainsi du sketch où un homme fortuné, dont le fils a renversé avec sa voiture une femme enceinte, négocie de grosses sommes d’argent avec son avocat, le procureur et son jardinier pour que celui-ci endosse l’accident meurtrier – une image crue de la corruption dans la société argentine.

Les Nouveaux sauvages* relève d’un cinéma exutoire** , catharsistique, tout en ouvrant à l’acide les plaies de nos sociétés. Damian Szifron y fait preuve en outre d’une maîtrise impressionnante dans la mise en scène, et est servi par une brochettes de comédiens tous talentueux. Les Nouveaux sauvages est un très grand film corrosif. Je le mets haut, d’ores et déjà, dans mon palmarès.

Quant à la Chambre bleue , de Mathieu Amalric, présenté aujourd’hui à Un Certain regard, ma critique se trouve ici.

Temps de lecture : 5 minutes
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