Confédération paysanne : Monsieur le Président, nous ne lâcherons pas !

Plus de paysans, c’est aussi plus d’habitants, donc plus de services publics et marchands, plus d’activités.

Laurent Pinatel  • 15 mai 2014 abonné·es

Nous sommes à un tournant. L’industrialisation de l’agriculture se fait de plus en plus pressante, et chaque année, sous couvert de modernisation, le nombre de paysans diminue. Désormais, nous n’avons plus le choix : soit nous laissons faire, actant de ce fait la disparition des paysans, soit nous controns ce mouvement pour faire vivre une agriculture créatrice d’emploi, de dynamique des territoires, respectueuse de son environnement et de la souveraineté alimentaire, l’agriculture paysanne pour laquelle nous nous battons. La ferme-usine des 1 000 vaches est le symbole de ce point de non-retour. Elle n’est pas unique en Europe, encore moins dans le monde, mais doit-on pour autant s’y résoudre ? Aujourd’hui, vos discours et vos arbitrages politiques sont l’expression d’un choix. Vous parlez d’agroécologie, d’emploi, mais surtout, sous prétexte d’une prétendue compétitivité, vous vantez la vocation exportatrice de la France, la balance commerciale comme ultime arbitre de vos actions. De fait, vous entérinez le modèle des fermes-usines comme celle des 1 000 vaches.

Présentée comme un projet pilote par son promoteur, Michel Ramery, elle fournirait du lait à bas prix grâce à des salariés précaires et à un méthaniseur géant subventionné. On est bien loin de la ferme qui produit du lait de qualité. Loin de la ferme partie prenante de son territoire. Loin de la ferme qui fait vivre des paysans. Pourtant, le discours de Michel Ramery, comme le vôtre, est séduisant. Vous nous parlez modernité, efficacité, rayonnement international ! La réalité, elle, est bien moins séduisante. Vous le savez, nous le savons, nos concitoyens le savent. Et si nous changions de vocabulaire ? Si nous pensions relocalisation, valeur ajoutée, qualité, vitalité, valorisation… ? L’agriculture paysanne que nous défendons est la seule qui soit en cohérence avec les enjeux auxquels vous, président de la République, avez la responsabilité de faire face. Mettons en regard la ferme-usine des 1 000 vaches et son homonyme, le plateau de Millevaches en Limousin. C’est un endroit que vous connaissez bien puisque vous avez été président du Conseil général de Corrèze. Il y a là un renouveau frappant. Alors que le secteur semblait se vider inexorablement de sa population, des paysans sont revenus. Dans leurs fermes, ils produisent une alimentation de qualité et de proximité, ils expérimentent, ils emploient. Sur le plateau et au-delà, ils recréent des réseaux, renouvellent le lien social. Plus de paysans, c’est aussi plus d’habitants, donc plus de services publics et marchands, plus d’activités. Et le plateau de Millevaches qui se vidait redevient attractif. C’est exactement ce dont aurait eu besoin ce secteur de la Somme où l’on veut implanter la ferme-usine des 1 000 vaches. Pourtant, avec seulement 18 emplois, des milliers d’hectares de terres agricoles confisquées, les dégâts sur l’environnement, elle provoquera l’exact contraire. Mais la vitalité d’un territoire n’est pas une variable recevable pour les agences de notation.

Monsieur le Président, ces deux modèles sont incompatibles. Vous parviendrez toujours à garder quelques fermes-vitrines pour alimenter les dépliants touristiques, mais notre agriculture aura disparu. L’industrialisation ne peut se poursuivre que par l’élimination de l’agriculture à taille humaine. L’accaparement des terres agricoles, la dérégulation des marchés, la spécialisation puis la disparition du savoir-faire paysan, l’élimination de la biodiversité dans la production comme dans l’environnement… Quand il n’y aura plus de paysans, on ne pourra pas revenir en arrière.

Vous le savez, mais vous ne faites rien pour l’empêcher. C’est pourquoi, depuis septembre, nous avons pris nos responsabilités pour stopper la ferme-usine des 1 000 vaches. Nous, paysans, avons toute légitimité à agir, puisque c’est de notre existence qu’il s’agit. De notre existence et du rôle que nous tenons dans la société. Nous connaissions le risque que nous courions en pénétrant par deux fois sur ce chantier. Après deux gardes à vue et une procédure judiciaire qui se poursuit, nous comprenons que nous ne sommes pas les bienvenus dans votre business plan de l’agriculture et que tous les moyens seront bons pour nous faire renoncer. Mais nous ne lâcherons pas. Nous ne nous résignerons pas. Ni Michel Ramery ni les intimidations policières et judiciaires orchestrées depuis le sommet de l’État ne parviendront à nous faire taire. Il est de notre responsabilité de nous battre pour le maintien de paysans nombreux sur le territoire. Votre responsabilité, Monsieur le président de la République, c’est d’agir en faveur de l’agriculture, et donc de la société tout entière. Si vous ne le faites pas, nous serons là de nouveau.

Écologie
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