Confusion

Il y a du péril à suggérer que le gars Kerviel est un lointain jumeau de M. Dreyfus.

Sébastien Fontenelle  • 22 mai 2014 abonné·es

Je ne suis pas du tout venu te distribuer une leçon d’histoire, mais je voudrais quand même te rappeler, à toutes fins utiles, que l’innocence du capitaine Dreyfus – Alfred de son prénom – a été jadis, et au terme de l’épouvantable affaire qui pour l’éternité porte son nom, tout à plein démontrée. Grâce aux exposés et travaux de M. Zola, Émile, et de quelques historiens, nous savons que M. Dreyfus fut la victime, dans son époque, d’un certain nombre de préjugés singulièrement effroyables (dont certains, je crains, n’ont pas, cent et quelques années plus tard, complètement disparu), et que ses accusateurs étaient de franches crapules.

Pourquoi te raconté-je* *tout ça ? La faute en revient à M. Mélenchon – Jean-Luc de son prénom. Qui a, ce dimanche, chez BFMTV (où je me demande un peu, quant à moi, ce qu’il faisait, car je n’ai que peu de goût pour cet endroit), expliqué en ces termes pourquoi son parti soutenait l’ex-trader Jérôme Kerviel : « On le soutient, car on pense qu’il est innocent, et nous autres, à gauche, sommes comme ça depuis l’affaire Dreyfus. Dreyfus n’est pas des nôtres, et on l’a soutenu. Kerviel est innocent, donc on le soutient. »

Cela m’a perturbé, car, quant à moi, je croyais ledit Kerviel coupable, selon les juges qui se sont penchés sur son cas en première instance, puis en appel, d’avoir, du temps qu’il tradait chez la Société générale, commis tout de même – comme vient encore de le rappeler le Monde  [^2] – quelques menues bévues, en établissant par exemple des centaines d’ « opérations fictives » ou en fabriquant des « mails à en-tête falsifiés de la Deutsche Bank ».

Entendons-nous bien : je le trouve, comme toi, plutôt sympa, Jérôme Kerviel. Surtout depuis qu’il a revêtu son nouvel habit de randonneur altermondialiste : je reconnais que j’accrochais moins à son ancien costard de winner. Et je partage l’avis selon lequel les éventuelles insuffisances – disons comme ça – de son encadrement d’antan mériteraient d’être, à tout le moins, complètement explorées. (Et qui pourrait douter que cela sera fait ?)

Mais, ceci posé, j’espère vraiment qu’il est effectivement, comme le soutient donc M. Mélenchon, innocent de ce dont ces juges l’ont accusé. Parce que, si tel n’était pas le cas, il y aurait, je le redoute, du péril à suggérer avec un peu d’insistance – et par des tournures qui rappellent de récentes illuminations de M. Guaino, Henri [^3] –, comme le fait le coprésident du Parti de gauche, que le gars est un lointain jumeau de M. Dreyfus (qui fut, quant à lui, redisons-le, confronté à des menées autrement plus terribles). Je ne suis pas complètement certain, en effet, qu’il soit de bonne politique d’ajouter, fût-ce au nom de sentiments dont nul(le) ne doute qu’ils soient fort bons, un surcroît de confusion à nos temps déjà fort embrouillamineux. Mais bon : je dis ça, je dis rien.

[^2]: Dans son édition datée du 20 mai 2014.

[^3]: Lequel est, comme on sait, persuadé que M. Sarkozy, Nicolas, est – lui aussi – la victime d’une nouvelle affaire Dreyfus…

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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