La liberté de semer

Stenka Quillet et Clément Montfort relatent les luttes paysannes contre la mainmise des multinationales sur les semences. Un documentaire éclairant.

Claude-Marie Vadrot  • 22 mai 2014 abonné·es
La liberté de semer
© **La Guerre des graines** , mardi 27 mai à 21 h 45, France 5 (56’). Photo : dr

Le film annonce d’entrée la couleur, s’ouvrant sur une compilation d’images de manifestations à travers le monde « contre une guerre inconnue qui nous menace tous »  : la guerre des graines. Avec une question revenant comme un leitmotiv : «   À qui appartiennent-elles ? » Elle est posée par Vandana Shiva, dite la « Gandhi des graines », scientifique indienne prônant la désobéissance civile, distribuant depuis vingt-cinq ans, dans sa ferme familiale, des semences paysannes aux femmes qui le demandent.

La question est posée dans les mêmes termes par Marie Durand, agricultrice française installée en Loire-Atlantique, refusant le maïs hybride des industriels de la graine au profit de ses propres semences libres de droits, qu’elle peut ensuite semer de nouveau pour nourrir son troupeau. Sur ses 93 hectares, elle est devenue autonome, tandis que son père, maintenant à la retraite, explique comment il s’est laissé piéger par l’agro-industrie pendant des années. «   Nous avons constaté qu’un peu partout dans le monde se mettent en place des législations semblables, comme des copier-coller, restreignant les droits des paysans sur leurs semences au profit de quelques multinationales », observent les auteurs réalisateurs de ce documentaire, Stenka Quillet et Clément Montfort. Elles sont cinq multinationales à se partager un marché juteux : Monsanto, Limagrain, Bayer, Pioneer et Syngenta. «   Ce qui nous est rapidement apparu comme paradoxal, et même scandaleux, c’est qu’en France et dans de nombreux pays les paysans doivent se battre pour préserver leur liberté de semer ce qu’ils veulent. En fait, ils sont contraints de faire recréer un droit naturel. » Aujourd’hui, 95 % des semences de maïs inscrites au catalogue officiel des variétés sont hybrides, donc stériles. Un verrouillage qui rapporte gros à l’industrie agrochimique : 769 millions d’euros, soit un tiers du chiffre d’affaires de toutes les semences vendues en France.

À côté d’autres interventions de militants (et même du témoignage d’un responsable de Monsanto France, dans les Landes), ce portrait croisé de Marie Durand et de Vandana Shiva, d’un continent à l’autre, dessine un langage commun et surtout un langage de femmes qui doivent convaincre des hommes qu’une autre agriculture est possible et qu’il faut « organiser la résistance aux cinq grands de l’industrie semencière   ». Grâce aux images fortes et aux conversations captées, et à une volonté pédagogique affichée de bout en bout, les auteurs rendent parfaitement compte d’une situation tragique. Jusqu’au large du Groënland, dans une chambre forte creusée dans la glace, où sont entreposées les graines du monde entier en cas de catastrophe écologique.

Face aux menaces, de nombreuses associations comme les Amis de la Terre, le mouvement des Amap, le réseau Semences paysannes, la fondation Sciences citoyennes ou la Fédération nationale de l’agriculture biologique multiplient les communiqués et les actions. Le but : inciter les citoyens à intervenir auprès des parlementaires français pour que la loi d’orientation agricole en cours de discussion écarte de façon définitive les restrictions à l’utilisation des « semences libres ». Il s’agit d’obtenir la suppression de l’obligation pour les paysans de recourir exclusivement aux graines figurant dans le catalogue officiel, établi sous la pression de l’industrie, laquelle est en train d’organiser le contrôle des 6 000 espèces et variétés dont elle exploite les brevets. Un combat, pleinement inscrit dans l’actualité, qui rejoint celui de l’Américaine Janisse Ray, dont l’essai, Ceux qui sèment. Graines de résistance  [^2], après son succès aux États-Unis, sera publié en France le mois prochain. Un combat qui reprendra bientôt au Parlement européen, puisque l’accord entre les États-Unis et l’Europe pourrait contenir des dispositions facilitant la dictature des cinq multinationales de la semence sur les choix des paysans. Au détriment de notre indépendance alimentaire.

[^2]: Ceux qui sèment. Graines de résistance, Janisse Ray, éd. Seepia, 248 p., 12 euros.

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