Les dossiers qui piétinent

L’éducation artistique, les droits d’auteur à l’ère du numérique, le régime d’assurance chômage des intermittents… La volonté de la ministre ne suffit pas.

Ingrid Merckx  • 1 mai 2014 abonné·es

Ce sont trois questions parmi les plus importantes, si l’on en croit la ministre de la Culture elle-même. Aurélie Filippetti a cumulé les effets d’annonce sur Hadopi, sur la taxation des « grands acteurs de l’Internet » ou sur l’éducation artistique. Et n’a cessé de se déclarer aux côtés des intermittents contre le Medef. Le ministère de la Culture ou celui de la parole ?

Les intermittents

Le 22 mars, un accord régissant l’assurance chômage des intermittents a été signé à l’Unedic par le Medef, la CGPME, l’UPA la CFDT et FO. « Inacceptable », ont jugé les premiers concernés, car il continue de pénaliser les plus précaires. (Re)mobilisés depuis janvier, les intermittents étaient dans la rue les 25 et 29 avril et ce 1er mai, en attendant la nouvelle Marche pour la culture, le 17. Le 16 avril, une avancée tout de même : la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, a annoncé qu’au moins un des points de l’accord serait corrigé. Il s’agit de la mesure instaurant un délai entre le moment où un intermittent termine son contrat et celui où il perçoit ses indemnités. On imagine l’impact dans un secteur où le gros des troupes tourne au Smic… « Une erreur », « une faute », a tranché la ministre, assurant que son collègue au Travail, François Rebsamen, avait « conscience du problème ». Quand bien même ce point serait modifié, le nouvel accord n’en prolonge pas moins le principe inégalitaire en cours depuis 2003. Aurélie Filippetti va-t-elle refuser d’agréer le nouveau texte ? C’est là que reposent les espoirs des intermittents. Cela permettrait de reprendre les négociations avec une prise en compte de leurs propositions : 507 heures en 12 mois pour une annexe unique avec un plafond de cumul indemnités-salaires. Le fond du problème n’est même pas financier : d’après une enquête réalisée par le CNRS et l’université de Picardie à la demande du Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles), les propositions des intermittents dessinent un système moins coûteux que l’actuel. « L’Unedic s’attaque aux intermittents par idéologie », affirme une tribune de la Coordination des intermittents et précaires ( le Monde, 14 avril) : «  Ces vingt-cinq dernières années, le Medef et la CFDT ont régné sur la direction de l’Unedic. Résultat : 6 chômeurs sur 10 en France ne sont pas indemnisés. Réforme après réforme, on limite les dépenses en cessant d’indemniser une partie des allocataires. » De quoi dégager 400 millions d’euros d’économies, quand ni la gestion de l’Unedic ni celle de Pôle emploi ne sont incriminées. Du côté des partenaires sociaux, « la négociation de couloir continue » entre les seuls signataires de l’accord, dénonce la CGT Spectacle (24 avril). La situation confine au déni de démocratie alors que s’ouvre bientôt la saison des festivals. Et l’écho qu’elle rencontre n’est pas à la mesure de sa portée réelle : la question des intermittents dépasse le monde du spectacle, en ce qu’ils viennent servir de cobayes à une réforme générale de l’assurance chômage.

Hadopi

En juin 2009, à l’initiative du président Sarkozy, était créée la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi). Une usine à gaz extrêmement coûteuse, qui consistait surtout à surveiller des millions d’internautes pour n’en sanctionner qu’une poignée. « Exit Hadopi » était l’un des engagements d’Aurélie Filippetti, qui, s’appuyant sur le rapport Lescure remis en mai 2013, a présenté un décret supprimant la « riposte graduée » (un mail d’avertissement puis un recommandé, puis un second recommandé, puis une convocation…). L’idée étant de transférer les pouvoirs d’Hadopi au CSA. Cela ne plaît guère aux internautes : Hadopi, au départ perçue comme une autorité de sanction, est devenue un interlocuteur pointu avec des experts dédiés. Ce qui n’est pas le cas du CSA. La ministre a également insisté sur sa volonté de soutenir la copie privée et de mettre en place une taxe sur les fournisseurs d’accès. Les modalités devraient être définies par la prochaine loi sur la création, mais celle-ci ne sera pas au Parlement avant l’automne. Quid des droits d’auteur à l’heure du numérique ?, s’inquiète l’Appel de Chaillot, lancé début avril. Car il est beaucoup plus question des ayants droit dans ces débats que des auteurs eux-mêmes, lesquels ne récupèrent de toute façon qu’une micro-part, téléchargement ou pas. Quel système leur serait plus favorable contre les géants du Web (Google, Facebook, Netflix) et ses acteurs (Orange, Vivendi, Hachette, Dailymotion, Deezer…) ? Une bibliothèque internationale en ligne ?

L’éducation artistique

C’est le serpent de mer. Tout le monde trouve l’éducation artistique indigente depuis des années. Y compris la ministre, qui, le 16 septembre 2013, présente son « grand projet pour l’éducation culturelle et artistique » comme « un choix politique ». L’affaire avait pourtant mal commencé. Certaines participantes au comité présidant à la consultation sur l’éducation artistique et culturelle, organisée fin 2012, telles Marie Desplechin et Marie-José Mondzain (voir notre hors-série n° 58, « Un an de Hollande, c’est mal parti »), en avaient dénoncé les modalités et les conclusions. Qu’à cela ne tienne : le 16 septembre, la ministre annonce « douze décisions clés » et une augmentation de 30 % des crédits. Mais c’était avant le vote général de la loi de finances 2014. Le 4 novembre, à la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée, la députée PC Marie-George Buffet interpelle la ministre : « Quand on regarde le détail du seul programme en augmentation (“Transmission des savoirs et démocratisation de la culture”, en hausse de plus de 7 millions d’euros), on s’aperçoit que l’augmentation globale cache quelques hausses substantielles […] et des baisses importantes, notamment 4 millions d’euros en moins pour le “Soutien à la démocratisation et à l’éducation artistique et culturelle”, au moment même où vous dites, Madame la ministre, en faire une priorité. » Au forum de Chaillot, Julie Bertucelli, réalisatrice du film la Cour de Babel, avait rappelé à quel point l’éducation artistique reposait « sur l’extraordinaire bonne volonté de certains professeurs. » La volonté sans moyens, tiennent ceux qui peuvent. Profs, intermittents, auteurs… La seule information vraiment spectaculaire sur ce dossier étant l’annonce d’un partenariat avec Total (voir ci-contre) : le pétrolier s’est engagé à soutenir financièrement des structures développant des projets d’éducation artistique et culturelle…

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Pauvre culture !
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