Les herboristes: des professionnels « clandestins » toujours persécutés par les pharmaciens épiciers

Claude-Marie Vadrot  • 20 mai 2014
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Les herboristes qui exercent encore légalement (une dizaine) le métier d’herboriste et tous les autres qui ne sont que des « travailleurs clandestins » aux yeux de la loi, se sont réunis en congrès il y a quelques jours à Lyon. Pour protester une fois de plus contre l’interdiction qui pèse sur leur métier. Depuis le 11 septembre 1941, à la demande expresse du Conseil Supérieur des Pharmaciens qui venait d’être créé par le régime du Maréchal Pétain, le métier d’herboriste a été interdit et le diplôme qui leur était décerné après plusieurs années d’études supprimé. A cette époque, environ 5000 herboristes diplômés exerçaient en France. Il n’en reste qu’une dizaine, très âgés, conservant jusqu’à leur mort, le droit de cautionner une herboristerie légale car possédant un diplôme d’avant l’interdiction. Tous les autres travaillent dans l’illégalité et sont constamment en butte aux persécutions des pharmaciens. Car le 5 mai 1945, quand fut créé l’Ordre des Pharmaciens, le gouvernement français accepta de renouveler l’acceptation de l’ukase de la profession : interdire que l’herboristerie soit réhabilitée. Conséquence, l’Ordre intente des procès à tous ceux qui se proclament ouvertement « herboriste ».

C’est, par exemple, le cas de Patrice de Bonneval, un Lyonnais qui tient une boutique portant son nom, boutique qu’il a racheté à la fin des années 70 à Maurice Bernardet, l’un des derniers herboristes lyonnais diplômé. Une boutique qui avait été ouverte en 1850. Le cas de Patrice de Bonneval et d’ailleurs singulier car bien que diplômé en pharmacie, il tient un magasin qui se présente explicitement comme gérant une herboristerie. Ce qui lui a déjà valu d’être poursuivi à plusieurs reprises pour « exercice illégal de la pharmacie » par l’Ordre des Pharmaciens. Lequel, comme d’autres phytothérapeutes non-diplômés (puisque le diplôme n’existe plus) s’acharne aussi contre Patrice de Bonneval parce qu’il s’obstine à enseigner la phytothérapie, l’aromathérapie et toutes les techniques liées à la préparation et à l’usage des plantes. Comme le fit, au début du XVII° siècle, le médecin Guy de la Brosse en créant ce qui devint le Jardin des Plantes dans le 5° arrondissement de Paris : ce novateur fut persécuté par les autres médecins parce qu’il enseignait en Français (une première) et gratuitement les méthodes d’une phytothérapie que ses confrères voulaient garder pour eux. Le corps médical n’a jamais été ouvert au progrès, il suffit de se souvenir de l’attitude de l’Ordre des médecins à propos de l’avortement pour s’en convaincre…

Les pharmaciens, pour des raisons parfaitement mercantiles et aussi parce qu’il s’agit d’un milieu très conservateur, veulent garder à leurs seules officines le droit de vendre des plantes ou des préparations à base de plantes. Un marché d’autant plus juteux que depuis 2008, 148 plantes peuvent être vendues dans n’importe quel commerce. Mais à condition que, sur l’emballage ou le mode d’emploi ne figurent aucun conseil médical. Sauf, évidemment, lorsque ces produits ou d’autres sont vendus en pharmacie. Il suffit de parcourir une boutique de pharmacien pour constater que depuis quelques années, qu’il s’agisse de médicaments, de cosmétiques ou de ce qu’il est convenu de nommer des « compléments alimentaires », les rayons sont envahis par des centaines de préparations. Alors que la plupart des pharmaciens diplômés et leurs employés n’ont jamais suivi le moindre enseignement consacré à l’usage des plantes pendant leurs études.

Mener la guerre aux herboristeries, revendiquées ou discrètes, faire peser des interdits sur les compléments alimentaires que l’on trouve souvent dans les boutiques bio, faire pression sur les pouvoirs publics pour que le métier d’herboriste diplômé reste interdit, n’est qu’un moyen pour les pharmaciens de se réserver un marché. Alors qu’ils ne sont plus, dans 98% des cas, que des vendeurs de produits sur lesquels ils n’interviennent pas, la fonction de « préparateur en pharmacie » ayant disparu face à l’avalanche de gélules et potions prêtes à l’emploi déversées par l’industrie pharmaceutique. Des épiciers, de simples commerçants, en quelque sorte. Alors que, comme l’explique Patrice de Bonneval, un herboriste est « celui qui connait et reconnait les plantes, qui les cueille, qui les prépare, qui les transforment et puis les vend » .

C’est ce que font toutes les femmes et tous les hommes qui exercent actuellement ce métier à leurs risques et périls face à un Ordre dominant. S’ils étaient diplômés et formés, leur métier représenterait, comme autrefois, une garantie pour les clients-patients faisant de plus en plus souvent face à la vente de plus en plus importante de « complément alimentaires aux plantes » qui relèvent de la charlatanerie parce que des « escrocs » se sont emparés d’une partie de ce nouveau marché. Les mêmes étant d’ailleurs en vente dans « toutes les bonnes pharmacies »…

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