Les raisons de rejeter le plan Valls

Pilier du programme de stabilité présenté à Bruxelles, le plan de 50 milliards d’euros d’économies annoncé par le Premier ministre se heurte à plusieurs écueils. Décryptage.

Thierry Brun  • 1 mai 2014 abonné·es

Le gouvernement a transmis à la Commission européenne le programme de stabilité et le programme national de réforme pour les années 2014 à 2017 (voir ci-contre). Il contient un plan d’économies de 50 milliards d’euros sur les dépenses publiques concentré sur trois ans, entre 2015 et 2017. Voici quatre arguments qui le mettent en cause.

Une reprise plombée

Michel Sapin, ministre des Finances, a confirmé qu’il voulait ramener le déficit public de la France à 3,8 % de son produit intérieur brut en 2014, 3 % en 2015, 2,2 % en 2016 et 1,3 % en 2017. Cette trajectoire n’a pas convaincu le Haut Conseil des finances publiques : « Il existe un risque que les effets positifs sur l’emploi et les salaires de la politique d’offre n’atténuent pas les effets négatifs sur l’activité de la consolidation budgétaire à la hauteur et au rythme de ce qui est prévu par le gouvernement. » Les économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estiment quant à eux que la reprise de l’activité est contrariée par la politique d’austérité du gouvernement, qui coûtera 0,9 point de croissance en 2014 et 0,7 point en 2015.

Peu d’emplois créés

François Rebsamen, ministre du Travail, s’attend à voir « 190 000 emplois » créés grâce aux 10 milliards d’euros d’exonérations de cotisations patronales. Il a par ailleurs réaffirmé l’objectif de 300 000 emplois créés d’ici à 2017 grâce aux 20 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), un autre volet du pacte de responsabilité pour les entreprises. Or, pour l’OFCE, il ne devrait pas y avoir d’amélioration sur le front de l’emploi : en 2015, le taux de chômage s’élèverait à 10,1 % pour la France métropolitaine. De plus, le coût – 61 000 euros d’argent public par emploi créé – paraît exorbitant, alors qu’actuellement un emploi coûte en moyenne (cotisations patronales comprises) 49 000 euros, selon les données de la Commission européenne. « Cela signifie que le gouvernement admet par avance que ces 30 milliards d’euros de dépense d’argent public n’auront en fin de compte aucun effet multiplicateur sur les créations d’emplois privés », assure Guillaume Duval, économiste et rédacteur en chef d’ Alternatives économiques, qui note que le financement public des 35 heures avait été beaucoup plus efficace en termes de création d’emploi.

Santé : la saignée

Pas moins de 21 milliards doivent provenir de l’ensemble de la protection sociale, a annoncé Manuel Valls. Fait inédit depuis 1997, les dépenses de santé ne devront pas progresser de plus de 2 % par an en moyenne, et ce dès l’année 2015. Le plan d’économies inclut la « nouvelle stratégie nationale de santé » engagée par Marisol Touraine, soit 10 milliards d’euros prélevés sur les dépenses d’assurance maladie d’ici à 2017. La ministre de la Santé veut économiser 3,5 milliards d’euros, en trois ans en réduisant le prix des médicaments et leur consommation. Les hôpitaux publics seront mis à contribution à hauteur de 2 milliards d’euros sur leur gestion. Le gouvernement espère ajouter 1 milliard d’euros d’économies en développant la chirurgie ambulatoire, qui permet au patient de sortir le jour même d’une intervention (hospitalisation de moins de douze heures). Le but est qu’au moins 50 % des interventions soient pratiquées ainsi d’ici à 2016, contre environ 40 % actuellement. « Les objectifs de montée en charge de la chirurgie ambulatoire et de promotion des médicaments génériques ne pourront être partagés qu’à la stricte condition que cela n’aboutisse pas à mettre en danger des patients dont l’état de santé requiert autre chose que des prises en charge à moindre coût », souligne le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). De son côté, André Grimaldi, professeur à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, relève que l’objectif de limiter les dépenses de santé à 2 % aura pour conséquence « l’accroissement du déficit des hôpitaux publics, condamnés à la succession ininterrompue de “plans de retour à l’équilibre” par la suppression continue des effectifs ».

Davantage d’inégalités

Plus globalement, les autres secteurs de la protection sociale (retraites, famille, chômage) devront contribuer à hauteur de 11 milliard d’euros aux efforts d’économies. Ainsi, 2,9 milliards seront dégagés grâce aux réformes des retraites (de base et complémentaires) et de la politique familiale engagées en 2013. Le gel des prestations sociales en 2014 devait permettre d’économiser 2 milliards supplémentaires (dont 1,3 sur les retraites de base et 0,7 milliard sur les autres prestations). Certes, dans une lettre envoyée aux députés de la majorité, Manuel Valls a annoncé que les retraités touchant une pension inférieure à 1 200 euros (tous régimes confondus) ne seront pas concernés par le gel des prestations. Le Premier ministre a, par ailleurs, renoncé à décaler la revalorisation exceptionnelle du RSA, prévue dans le plan pauvreté, au mois d’octobre 2015. Ces mesures ne changeront pas la situation des plus modestes ni des fonctionnaires, qui font les frais de la politique d’austérité : le remplacement des cotisations sociales employeurs par des prélèvements sur les ménages a des effets anti-redistributifs qui creusent les inégalités. Or, la crise a frappé davantage les ménages les plus modestes, relève l’Insee. Le niveau de vie moyen annuel des 10 % les plus riches a augmenté de 1 795 euros, soit + 3,2 % entre 2008 et 2011, alors que celui des 10 % les plus pauvres a perdu 360 euros, soit une baisse de 4,3 % sur cette période.

Économie
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