L’islam entre adaptation et résistance

Les éditions Demopolis rééditent un ouvrage majeur de Maxime Rodinson. D’une brûlante actualité.

Denis Sieffert  • 29 mai 2014 abonné·es

L’islam offre-t-il le cadre d’une résistance au capitalisme ? S’en accommode-t-il ? Façonne-t-il une forme particulière de capitalisme ? Voilà, entre autres, les questions auxquelles Maxime Rodinson répond dans un ouvrage majeur paru au Seuil en 1966. Le grand sociologue arabisant, disparu en 2004, aborde le sujet des rapports entre islam et capitalisme armé de son immense savoir et d’une solide grille de lecture marxiste qui le prémunit contre les essentialismes de toute sorte. Sa connaissance du Coran lui permet notamment d’en proposer une lecture rationnelle et de montrer que le livre sacré de l’Islam entretient un rapport étroit avec la Raison. Dans sa préface, Alain Gresh insiste sur cet aspect qui n’est pas indifférent au moment où l’islam est regardé comme la religion de tous les fanatismes. Mais revenons à nos trois questions. Oui, l’islam peut représenter un idéal de résistance aux excès du capitalisme, mais sans aller toutefois jusqu’à remettre en cause l’un des fondements du système, la propriété privée. Les lectures les plus mystiques ont même pu voir dans la dénonciation de « la vanité, la fragilité, la duperie des choses de ce monde » (nous citons Rodinson) une invitation à la critique du capitalisme.

Une résistance qui est peut-être surtout un rejet des influences occidentales car, comme le rappelle Rodinson, l’introduction du capitalisme dans les sociétés musulmanes est toujours d’origine exogène. C’est un apport extérieur auquel l’islam a été impuissant à résister, y compris face aux traits les plus inhumains du capitalisme comme le travail des enfants au début du XXe siècle, en Égypte. Des traits que les Occidentaux ont eu tôt fait d’attribuer à l’islam, oubliant que le capitalisme en pays musulman a été marqué par une autre réalité historique : le colonialisme. Celui-ci a eu une double influence. L’économie a d’abord été placée entre les mains d’intérêts étrangers. Puis, lorsque les jeunes nations indépendantes ont voulu s’émanciper, elles ont procédé par nationalisations, donnant naissance à un capitalisme d’État caractéristique de plusieurs pays arabes. Rodinson illustre son propos par des pages lumineuses sur le capitalisme en Égypte, de l’influence de l’impérialisme britannique à la révolution nationaliste de Nasser, en 1952. Il n’y a donc évidemment pas de « capitalisme musulman ». Aujourd’hui, on voit aussi bien des Frères musulmans à l’aise avec le néolibéralisme, que des islamistes qui, selon le mot de François Burgat, reformulent « dans un lexique endogène la vieille dynamique nationaliste ou anti-impérialiste ». La lecture matérialiste des rapports entre islam et capitalisme que nous proposait Rodinson, il y a près de cinquante ans, nous aide à comprendre le monde actuel.

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

La sociologie est un sport collectif
Idées 19 mars 2025 abonné·es

La sociologie est un sport collectif

Composé par d’anciens collègues et chercheurs d’autres disciplines en sciences sociales formés par lui, un passionnant volume rend hommage à Jean-Claude Chamboredon, d’abord proche de Bourdieu avant de créer ses propres labos, telles des « coopératives artisanales ».
Par Olivier Doubre
Yolanda Díaz : « On ne progresse pas par la peur mais par l’espoir »
Entretien 19 mars 2025 abonné·es

Yolanda Díaz : « On ne progresse pas par la peur mais par l’espoir »

La deuxième vice-présidente du gouvernement espagnol, ministre du Travail et de l’Économie sociale, a su imposer ses thèmes dans le gouvernement dirigé par le socialiste Pedro Sánchez. Ses réformes ont fait d’elle l’une des personnalités politiques les plus populaires de la péninsule ibérique.
Par Pablo Castaño
Ian Brossat : « Il faut imposer les questions du travail dans le débat à chaque occasion »
Entretien 12 mars 2025 abonné·es

Ian Brossat : « Il faut imposer les questions du travail dans le débat à chaque occasion »

Le sénateur communiste et candidat à la mairie de Paris défend l’union des gauches en vue des prochaines échéances électorales. Il appelle la gauche à replacer la question du travail au cœur de sa pensée.
Par Lucas Sarafian
Les fake news… une vieille histoire !
Histoire 12 mars 2025 abonné·es

Les fake news… une vieille histoire !

L’historien Marc Bloch, ancien poilu, a observé la diffusion des fausses nouvelles lors de la Première Guerre mondiale. Il montrait déjà que les mécanismes de leur propagation reflétaient les craintes et les haines inscrites dans la psychologie collective de la société.
Par Olivier Doubre