Une nouvelle droite modérée

Nous sommes dans le monde d’Aquilino Morelle, où les allocataires du RSA et les retraités les plus modestes ne sont que des ombres.

Denis Sieffert  • 1 mai 2014 abonné·es

Il faut se faire une raison : nous avons un gouvernement de droite. De droite modérée – il y a toujours pire –, mais de droite quand même. Un gouvernement issu d’un vote de gauche, et qui s’appuie sur un groupe parlementaire qui vit dans sa chair cette insupportable contradiction. C’est la conclusion que l’on peut tirer de cette folle semaine qui a conduit au vote laborieux du programme de stabilité par l’Assemblée nationale. Qu’est-ce qui autorise une aussi brutale affirmation, et sans doute injuste pour des ministres ou des secrétaires d’État qui n’en pensent pas moins ? Une sorte d’évidence. Quand un gouvernement, au prétexte de ramener notre déficit public dans les clous de la discipline européenne, s’en prend aux petites retraites, et aux allocataires du RSA, quelle autre conclusion tirer ? Que penser d’un président de la République et d’un Premier ministre qui font payer la crise aux plus pauvres de nos concitoyens, ceux qui survivent avec moins de cinq cents euros par mois ? Que leur reste-t-il « de gauche » après cela ? On cherche en vain.

Par opposition, il faut évidemment se féliciter de la « fronde » des députés socialistes qui ont refusé cette faute morale. Ils ont finalement obtenu partiellement gain de cause. Et nous serons les derniers ici à dire que ce qui a été acquis pendant ces quelques jours est sans importance. Un euro est un euro. Et la garantie que le RSA sera finalement réévalué en septembre, alors que le gouvernement s’y refusait, n’est pas négligeable. Comme ne l’est pas l’indexation des retraites les plus modestes que l’exécutif avait décidé de geler. On sera plus circonspect en revanche sur cette clause annuelle de « revoyure » (j’aime bien ce sympathique mot de voyou au milieu du verbiage technocratique) pour les salaires des fonctionnaires. Cela engage le gouvernement à rien d’autre qu’à « revoir » les partenaires sociaux. Mais que des députés du PS aient joué leur rôle d’intercesseurs en faveur de ceux qui les ont élus ressemble tout de même à un sursaut démocratique. Bien sûr, il y aura toujours ceux qui regretteront que les « frondeurs » n’aillent pas plus loin, qu’ils ne fassent pas tomber le gouvernement, qu’ils ne rejoignent pas le Front de gauche, ou ne structurent pas plus durablement leur dissidence. On verra bien. Convenons que les institutions de la Ve République sont un terrible piège qui n’offre guère comme alternative que la soumission et la politique du pire.

Mais revenons sur cette semaine et les réunions en panique avec les « faux » frondeurs (ceux qui ont proposé leur « médiation » à point nommé), dimanche et encore mardi matin. La communication gouvernementale a bien tenté de récupérer ces va-et-vient au profit de François Hollande et de Manuel Valls. N’était-ce pas un modèle de concertation entre un gouvernement et sa majorité ? N’est-ce pas cela « revaloriser » le travail parlementaire ? Eh bien non, ce n’est pas ça ! La controverse eût-elle porté sur la sortie de l’euro, ou la renégociation du pacte de stabilité, ou sur le choix entre une politique de l’offre et une politique de relance, on aurait apprécié une salutaire ouverture démocratique. Mais le débat ici portait, rappelons-le, sur la question de savoir s’il fallait ou non geler une allocation de survie pour les plus pauvres. Fallait-il absolument une « fronde » de quatre-vingts députés socialistes pour convaincre nos dirigeants de gauche que ça n’était acceptable ni socialement ni moralement ? Ne pouvaient-ils pas trouver ça tout seuls ? En réalité, le mal est fait. Ce sont des situations comme celle-là qui révèlent la vérité des hommes qui nous gouvernent et nous en apprennent sur les mécanismes de leur pensée. On ne cède pas parce qu’on se rend compte que le projet initial était indécent, on cède (à moitié) pour amadouer les députés frondeurs et s’épargner un camouflet. Derrière tous ces chiffres, on ne voit plus des êtres de sueur et de larmes, mais des statistiques et l’urgente nécessité d’un repli politique. Une magouille. Nous sommes dans le monde d’Aquilino Morelle. Un monde dans lequel les allocataires du RSA et les retraités les plus modestes ne sont que des ombres.

Bien sûr, il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur ce programme de stabilité. Nous les disons un peu plus loin dans ce journal (voir les articles de Thierry Brun et de Michel Soudais) et nous le répétons semaine après semaine. Il faudrait parler des menaces qui pèsent sur les services publics, sur les hôpitaux, sur la culture (voir notre dossier). Mais l’affaire du RSA et des petites retraites agit comme un terrible symbole. Sommes-nous seulement au bout de nos peines avec notre nouvelle « droite modérée » ? Pas sûr. Un lobbying intense s’exerce dans les allées du pouvoir pour qu’on n’en reste pas à des économies, mêmes drastiques, et que l’on opère des « réformes de structures ». Ce n’est pas pareil de réduire les crédits des hôpitaux et de casser ou de privatiser notre service public de santé… D’autres ou les mêmes, Pascal Lamy en tête, proche de François Hollande, plaident pour « des petits boulots payés en dessous du Smic ». Faute de faire sortir les chômeurs des statistiques par le haut, on peut au moins les faire sortir par le bas… Les frondeurs ont intérêt à rester vigilants pour que notre nouvelle droite reste modérée, faute de redevenir « de gauche ».

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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