Gauches : une trêve ou la paix ?

Le Club des socialistes affligés est parvenu à rassembler, le temps d’un après-midi, les représentants d’une gauche éclatée. L’amorce d’une reconquête ?

Pauline Graulle  • 12 juin 2014 abonné·es
Gauches : une trêve ou la paix ?
© Photo : Michel Soudais

Certains rendez-vous valent par le fait même que les invités sont venus. C’était le cas samedi dernier. Rassembler autour de la même table les verts Pascal Durand, Julien Bayou et Eva Joly, les socialistes Liêm Hoang-Ngoc et Gérard Filoche, et les Front de gauche Clémentine Autain, Pierre Laurent et Éric Coquerel était un événement en soi. Une petite victoire quand on sait que la guerre des gauches continue de faire rage entre ces partis, quand ce n’est pas en leur sein même.

Comme un pied de nez aux « Solfériniens », ce colloque de lancement du Club des socialistes affligés (voir encadré) se tenait à quelques mètres du siège du PS. But de cette opération œcuménique, rondement menée par l’économiste socialiste Liêm Hoang-Ngoc et le politologue Philippe Marlière : rassembler en terrain neutre les responsables politiques rouge-rose-vert partageant le même écœurement face à la « troisième voie » prise par le gouvernement Valls. Et faire se parler ceux qui, unis sur le constat d’échec du social-libéralisme, restent divisés sur la manière de le contrer. Histoire de se donner une dernière chance de sauver de l’abîme cette gauche socialiste – au sens jaurésien du terme – dont la défaite historique du 25 mai a résonné comme un énième coup de semonce.

Lieu d’échange, de réflexion « et de riposte » inspiré des clubs politiques qui ont fleuri à l’aube de la Révolution française, le Club des socialistes affligés s’adresse à tous les « socialistes » au sens large. Nul besoin d’avoir sa carte rue de Solférino pour adhérer. Philippe Marlière, spécialiste de la « troisième voie » à l’université de Londres et l’un des fondateurs du Club, a lui-même quitté le PS après vingt ans de bons et loyaux services. Avec pour anti-modèle absolu Terra Nova, ce think tank « de gauche » qui préconisait – avec le succès que l’on sait – d’abandonner l’électorat populaire, le Club des socialistes affligés entend aborder les sujets économiques et sociaux à égalité avec les sujets sociétaux, dépasser les clivages politiques, mais aussi les frontières du périph’ : « On aimerait que des clubs se créent partout en France », espère Liêm Hoang-Ngoc. L’initiative a été très mal accueillie par les huiles du PS, estimant que l’ancien eurodéputé « pèse zéro, c’est pour ça que tout le monde y va ». Curieux raisonnement.

Certes, le très attendu Jean-Luc Mélenchon, avançant des « raisons personnelles », n’est finalement pas venu. Certes, pour un rendez-vous de « socialistes affligés », on aurait aimé voir un peu plus de… socialistes (encartés, s’entend). Aucun des fameux « frondeurs », Pouria Amirshahi, Pascal Cherki ou Emmanuel Maurel, n’ont, semble-t-il, réussi à se libérer. Reste que, pour une veille de Pentecôte, le pari de Liêm Hoang-Ngoc et de Philippe Marlière de rassembler « large » était déjà gagné. Comme l’était celui d’avoir regroupé, par un après-midi caniculaire, une bonne centaine de personnes pour écouter les débats. Rapidement, la petite salle bondée a pris les airs d’une réunion de socialistes anonymes en thérapie de groupe. C’est qu’on en avait gros sur le cœur. Sylvain Mathieu, le premier fédéral de la Nièvre, choisi par ses camarades de l’aile gauche pour se présenter contre Cambadélis, a évoqué son « malaise » devant un parti  « verrouillé », ayant abandonné tout débat sur l’euro, l’Europe ou le patriotisme. Caroline De Haas, ayant quitté récemment le PS et fondatrice d’Osez le féminisme, s’est dite en état de « sidération » après les résultats du 25 mai : « Je suis pourtant une habituée des dépressions politiques ! », a-t-elle plaisanté. Quant aux économistes invités pour une table de ronde sur l’austérité, on ne sait plus s’ils étaient atterrés, indignés ou affligés. Les flèches visant Hollande sont arrivées de partout. Et d’abord de Liêm Hoang-Ngoc, qui, comme une adresse amicale au grand absent du Parti de gauche, a rhabillé le « capitaine de pédalo » en « capitaine du Titanic ».

Le paquebot France coule, mais que faire ? Comme prévu, les échanges entre responsables politiques ont été vifs. Et derrière l’authentique volonté de tous de trouver un terrain d’entente, les désaccords politiques sont revenus au galop. L’heure est trop grave pour « les petits calculs électoraux », a pourtant lancé Pierre Laurent, faisant part de son « envie d’être partout où les forces de gauche se remettent au travail et construisent les espaces politiques pour y arriver, y compris au Parlement ». Manière, pour le patron du PCF, de ne pas trancher entre ceux qui estiment que seule une rupture claire avec le pouvoir entraînera le changement et les autres. Tel le socialiste Gérard Filoche : « Nous sommes 40 % au sein du bureau national du PS à être contre la politique actuelle, on serait 80 % si on le demandait aux militants par un sondage loyal ! » Un seul mot d’ordre : mettre Valls en minorité à l’Assemblée. « Quand on a une majorité de gauche, on ne dit pas “dissolution”, mais “elle doit gou-ver-ner” », a-t-il conclu sous les applaudissements d’un public plutôt acquis à sa cause.

Ce n’était pas le cas d’Éric Coquerel : « On a deux ans devant nous, il ne faut pas se planter, on ne doit pas laisser penser qu’on fait partie de cette gauche au pouvoir », a intimé le mélenchoniste à son voisin du PS. « Est-il raisonnable de penser que la minorité du PS peut prendre le pouvoir au PS   ?, a ajouté Clémentine Autain. Il faut un rassemblement, mais avec un cap clair, qui n’est pas la dissolution de la gauche dans la doctrine néolibérale. » Dans le viseur, Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale EELV, auteure d’une lettre appelant au rassemblement, et envoyée entre autres à Cap21 et au MoDem (voir p. 8). C’était juste pour la forme, a répondu en substance Julien Bayou, porte-parole d’EELV, pour rassurer la porte-parole d’Ensemble !. La salutaire séance de « vidage d’abcès » a continué. « Je n’ai pas oublié, Liêm  [député européen de 2009 à 2014, NDLR], que tu n’as pas voté contre la loi sur la pêche en eau profonde », a souligné Eva Joly, qui a appelé à des primaires communes entre socialistes critiques, Front de gauche et écolos, en vue de 2017. Pascal Durand, lui, a jeté un pavé dans la mare, estimant que seules les luttes sociales auraient gain de cause : « Il faut dépasser le vieux monde, les vieilles références, les vieux cartels des partis politiques. Tant qu’on continuera dans les logiques électorales, les réponses ne viendront pas des partis ! » Et le public de tordre le nez. Les intervenants s’étant déjà emparé des sujets qui fâchent, Liêm Hoang-Ngoc a conclu sur ceux qui rassemblent. L’austérité, le grand marché transatlantique… « La bonne nouvelle, c’est que ceux qui sont autour de cette table se parlent. » Souhaitons-leur de continuer longtemps.

Politique
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