Terrain de suspicion

Stéphane Beaud propose un regard sur les Bleus qui donne à réfléchir sur les fractures de notre société.

Denis Sieffert  • 12 juin 2014 abonné·es

Après Traîtres à la nation ?, publié en 2011, le sociologue Stéphane Beaud prolonge son travail original sur le football français avec Affreux, riches et méchants ? Dans les deux cas, le point d’interrogation du titre signale que la stigmatisation des joueurs de l’équipe de France de football – puisque c’est d’eux qu’il s’agit – n’est pas le point de vue de l’auteur. C’est cette stigmatisation par les médias et par une partie de l’opinion que le sociologue interroge. Chemin faisant, il interroge toutes les fractures actuelles, dont le rapport de l’opinion à son équipe donne une représentation assez saisissante. Car les joueurs d’aujourd’hui ne sont plus comme naguère des fils d’ouvriers ou des enfants des classes moyennes, auxquels une grande partie de la société pouvait s’identifier, et avec lesquels les journalistes sportifs communiquaient naturellement. Pour la plupart, ils sont des gamins des cités, issus de l’immigration postcoloniale. Des Noirs et des Arabes, pour le dire sans détours, cibles d’une constante suspicion.

Symbole et vedette de l’une des générations précédentes, Michel Platini avoue qu’il n’a jamais chanté « la Marseillaise » avant un match. Et personne n’a jamais songé à lui en faire grief. En revanche, la France entière épie les moindres mouvements de lèvres des jeunes joueurs actuels : seraient-ils de « mauvais Français » ? Quelques défaites, et le malentendu s’installe. Certes, les joueurs, gagnés eux aussi par une sorte de crispation identitaire mêlée de complexes culturels, ne sont pas exempts de reproches. Mais l’ampleur médiatique donnée à chaque incident témoigne de quelque chose de plus profond. Lorsque l’équipe de France perd un match, ce ne sont pas tant les défaillances dans le jeu qui sont critiquées que l’attachement des joueurs au « maillot » et à la « nation » qui est mis en doute. La dérive du commentaire est d’autant plus absurde lorsque la France remporte une brillante victoire aussitôt après une défaite, comme ce fut le cas contre l’Ukraine en novembre dernier. En quatre jours, Benzema et ses coéquipiers étaient presque devenus de « bons Français »…

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Peut-on encore aimer le foot ?
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