Dominique Plihon : « Hollande et Valls ont tué toute tentative de mener une autre politique économique »

ENTRETIEN. Dominique Plihon, des économistes « atterrés », réagit au discours de Manuel Valls devant le Medef et aux propos d’Emmanuel Macron, nouveau ministre de l’Economie, publiés dans Le Point.

Thierry Brun  • 28 août 2014
Partager :
Dominique Plihon : « Hollande et Valls ont tué toute tentative de mener une autre politique économique »
© Photos: Alain Jocard / AFP et PATRICK KOVARIK / AFP

Manuel Valls aime l’entreprise et l’a dit haut et fort dans une allocution prononcée lors de l’université d’été du Medef, mercredi 27 août, à Jouy-en-Josas (Yvelines). Le Premier ministre a aussi réaffirmé « le choix de la clarté et de la cohérence dans la mise en œuvre des orientations économiques » libérales destinées à soutenir le monde de l’entreprise. De même, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Le Point [^2], Emmanuel Macron, nouveau ministre de l’Économie, a donné les grandes lignes de la politique économique qu’il entend mener. L’économiste Dominique Plihon, qui préside le Conseil scientifique d’Attac France et est membre des économistes atterrés, analyse leurs propos.

Le Premier ministre, Manuel Valls, et le nouveau ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, martèlent qu’une autre politique économique est un mirage. Quelle est votre réaction à ce propos ?

Dominique Plihon : Les politiques néolibérales que Manuel Valls et Emmanuel Macron mettent en avant sont une des causes de la crise. Cela consiste à flexibiliser le marché du travail et à donner les coudées franches aux patrons en restaurant les profits alors que le partage salaires-profits s’est modifié en faveur des entreprises. L’Union européenne est le laboratoire de ces politiques néolibérales et la région du monde la plus déprimée. N’y a-t-il pas un lien de causalité entre cette crise profonde, qui va durer longtemps et coûter cher en emplois, et les politiques qui sont menées depuis plusieurs années ?

Emmanuel Macron s’en prend à ceux qui défendent une autre politique économique et Manuel Valls à la gauche qu’il faudrait rénover…

Le PS serait-il donc mort en tant que lieu de pensée économique ? La politique économique qui est menée par Macron, Valls et Hollande devrait être la même que celle de la droite ? François Hollande et Manuel Valls ont tué toute tentative de faire une politique qui permettrait de reconstituer des marges de manœuvres et permettre à ceux qui ont subi la crise et qui n’en sont pas responsables d’être moins mis à contribution. Une politique de gauche est de répartir équitablement les fardeaux de la crise et pas de réaliser des transferts massifs en faveur des entreprises !

Si la France, avec les pays scandinaves, a un niveau de dépenses publiques élevé en pourcentage du PIB, c’est parce que les citoyens français ont fait des choix de société qui consistent à avoir un enseignement et un système de santé socialisés. Les socialistes devraient le comprendre et le défendre. Est-ce qu’on veut aller vers le modèle américain où il faut payer pour les études et s’endetter pour aller à l’hôpital, avoir un compte en banque bien garni pour accéder au service des urgences ? Est-ce que les Français sont prêts à privatiser le système de santé et le système éducatif ? Les socialistes frondeurs devraient monter au créneau en défendant des choix de société précis, car réduire sensiblement les dépenses publiques, cela veut dire s’attaquer au système éducatif et de santé.

Ceux qui veulent laisser filer les déficits n’ont pas de propositions, estiment Manuel Valls et Emmanuel Macron. Que leur répondez-vous ?

Faut-il maintenir l’économie dans une stagnation qui est la conséquence inéluctable des politiques menées par Manuel Valls ? Les simulations et analyses montrent que cela ne permet pas de réduire les déficits publics. Bien au contraire. Que ce soit en Grèce, en Espagne et au Portugal, les résultats sont significatifs : ces politiques de diminution des dépenses et de réduction des déficits publics ont échoué. Il n’y pas de règle d’or en matière de déficit public. Au Japon, les déficits ont atteint 200 % du PIB, la Belgique a un déficit public largement supérieur à 100 %. Ces pays ne sont pas forcément ceux qui se portent le plus mal, sans parler des pays scandinaves. L’objectif de réduction à tout prix de la dette à 60 % du PIB n’a aucun sens.

Les déficits publics viennent en partie de l’évasion fiscale, de déductions fiscales injustifiées, etc. On peut décider que cette dette ne sera pas remboursée. On peut penser qu’il y aura une restructuration nécessaire des dettes publiques en Europe, par exemple en allongeant les remboursements et en diminuant les taux d’intérêt, voire en annulant une partie de cette dette. Si l’on reste dans ces politiques économiques d’austérité, dans les dix ans qui viennent on assistera à restructuration de la dette. Cela a été évoqué à plusieurs reprises au niveau européen. Une partie de la dette publique ancienne et nouvelle pourrait être prise en charge par la Banque centrale européenne. Elle pourrait être mutualisée dans un système d’eurobonds (euro-obligations), qui serviront aussi à financer la transition écologique.

Les économistes qui préconisent une politique de relance sont-ils dans l’erreur ?

En se concentrant sur l’offre, on ne peut pas avancer. Keynes disait que l’offre est un phénomène de long terme et que dans le long terme nous serons tous morts. Pour qu’une politique économique de l’offre puisse fonctionner, il faut qu’il y ait une demande. Une politique qui néglige ce volet de demande ne peut pas réussir. Et ce n’est pas parce qu’il y a un mauvais réglage économique au niveau européen, et que des pays ont été trop loin dans l’austérité, que la France ne pourrait pas faire quelque chose de son côté, par exemple sur les salaires.

Comment se fait-il que le gouvernement et François Hollande n’aient pas agi clairement pour demander de reconsidérer les politiques européennes, ce que fait par exemple le président du conseil italien Matteo Renzi ? La France n’a pas utilisé sa situation politique et économique centrale en Europe pour amener l’Union à reconsidérer ses politiques. François Hollande s’est couché devant Merkel et n’a pas cherché des alliances, avec notamment des pays du Sud, pour créer un rapport de force et engager une inflexion des politiques actuellement menées.

Quand il y a des difficultés en France, il est facile de dire que c’est la faute à l’Europe. C’est politiquement très dangereux par rapport aux idéologies nationalistes. Cela donne des munitions au Front national, et c’est un moyen de s’exonérer de toute politique intérieure en matière de demande.

Pensez-vous comme Manuel Valls que le problème est d’abord celui de la compétitivité des entreprises ?

Pour des secteurs comme le logement, la construction et les services publics non satisfaits, il n’y a aucune notion de compétitivité qui tienne. On peut décider qu’une partie de l’effort de relance repose sur ces secteurs de l’économie qui répondent à la satisfaction des besoins sociaux et sont en dehors de la mondialisation. Une vraie politique de gauche consiste à satisfaire ces besoins sociaux, notamment en matière de logement, et à relancer l’économie dans des secteurs qui ne sont pas importateurs et n’entrent pas dans une logique de compétitivité. Les entreprises se remettraient à investir et cela amorcerait la pompe du côté du secteur productif exposé à la concurrence.

Le Premier ministre raisonne en ne regardant que le seul secteur productif et ignore que l’économie française, comme toutes les économies modernes, a aussi un secteur non marchand. Celui-ci n’intéresse pas Manuel Valls ni Emmanuel Macron, qui ne sont ni socialistes ni socio-démocrates en se situant en dehors du champ social.

Les impôts pèsent sur notre économie, affirme Manuel Valls. Êtes-vous d’accord avec lui ?

Oui, mais pourquoi ? Posons la question des dépenses fiscales faramineuses en faveur des entreprises. Réévaluons les politiques d’aides aux entreprises, notamment le crédit impôt recherche dont on sait qu’il est un instrument d’évasion fiscale important. Les entreprises ne l’utilisent pas pour la recherche mais pour éviter de payer des impôts, ce qui fait que la France est un des pays où la dépense de recherche et de développement privé rapportée au PIB est la plus faible au monde en dépit des mesures d’aide les plus favorables de la planète ! Manuel Valls et Emmanuel Macron devraient demander une évaluation publique de l’efficacité des politiques d’aides aux entreprises, à commencer par le crédit d’impôt pour la recherche, très coûteux, et qui sert à l’évasion fiscale des entreprises. On peut d’ores et déjà dire que l’on ferait des dizaines de milliards d’euros d’économie.

Puisque la France est en retard au niveau des entreprises privées, puisque les dépenses privées de recherche et de développement sont insuffisantes, cela veut dire que les dispositifs actuels ne sont pas incitatifs et que le crédit impôt recherche ne fonctionne pas. Abandonnons ce crédit et mettons l’argent ailleurs pour la recherche et le développement.

Il y a une responsabilité écrasante des entreprises dans la crise. Les plus grandes entreprises françaises ont des niveaux de profits plus élevés que la moyenne par rapport à leurs concurrentes étrangères. Elles n’investissent pas et ne prennent pas leurs responsabilités en matière de recherche et de développement, qui sont des éléments déterminants de la compétitivité hors prix.

[^2]: Le 28 août 2014.

Politique
Temps de lecture : 8 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…