La Louisiane selon HBO

True detective ou Treme? Une série policière, une série musicale, deux visages de la Louisiane à emporter dans vos bagages (numériques).

Ingrid Merckx  et  Pauline Graulle  • 9 août 2014
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La Louisiane selon HBO

Avec True Detective (une seule saison) , on entre dans l’univers poisseux de deux flics enquêtant sur un tueur en série dans le sud d’une Louisiane débarrassée des clichés. Au gré de leurs rencontres avec les «petits blancs» d’une Amérique décadente, dans les non-lieux que sont les friches industrielles, les églises abandonnées ou les ghettos de préfabriqués, les deux hommes sont entraînés malgré eux dans une errance intérieure à travers leurs propres névroses.

Le premier, père de famille apparemment modèle, interprété par Woody Harrelson (le porno-addict libertaire de Larry Flint ), est tout en force et en américanité. Le second est tout en subtilité : l’excellent Matthew McConaughy (aperçu en trader à moumoute dans le Loup de Wall Street …et, qui là encore, montre pas mal d’audace capillaire !), donne à son personnage de père torturé et insomniaque, ex indic aux Stups (jamais vraiment redescendu de ses trips sous LSD), une épaisseur saisissante. Un antihéros écrasé par la responsabilité et la droiture morale : une figure plutôt rare dans notre monde de consommation frénétique et d’instantanéité perpétuelle…

On se laisse happer par ce thriller en huit épisodes (attention, angoisse assurée), qui nous entraîne dans les bas-fonds de la Louisiane et les tréfonds de l’âme humaine.

  • True detective , saison 1, Nic Pizzolatto et Cary Fukunaga, pour HBO (2014)

Illustration - La Louisiane selon HBO

L’action de Treme se déroule également en Louisiane , mais en offre une autre vision… La première série musicale de l’histoire, conçue avec passion par David Simon, le scénariste génial de la série The Wire . Des ghettos de Baltimore aux quartiers historiques de New Orleans (NOLA), même principe : une trame documentaire tissée avec un scénario de fiction.

Dans Treme , nom de ce quartier mythique de la Nouvelle-Orléans, la ville est le personnage principal. Un parti pris au service d’un engagement politique : un des enjeux de cette série, dont la saison 5 est en préparation, consiste à dénoncer l’abandon de la Nouvelle-Orléans par les Etats-Unis après le passage de Katrina (2006).

La première saison démarre au lendemain de l’ouragan, la ville se remet à peine de la catastrophe. Les habitants tentent de se reloger ou de reconstruire leurs maisons, les musiciens de retrouver des « gigs » (concerts), les cuistots de relancer leurs restaurants, la justice de se (re)faire une place.

Architecture, musique, cuisine et politique se mêlent dans un joli remue-ménage de réflexions autour de la reconstruction, au propre et au figuré : que reste-t-il du passé, de l’âme de cette ville ? Qu’est-ce qui est de l’ordre du disparu et qu’est-ce qui peut renaître ? Comment se souvenir de l’histoire et écrire l’avenir ? Les notes de musique, la saveur des mets, les rituels des « Indians » (rythmes, costumes et danses), les pierres et les archives judiciaires jouant le rôle de traces, vectrices de la métamorphose. Entre tradition (mardi gras) et modernité (un centre du jazz). Authenticité et trucs à touristes. Hommage aux anciens (les musiciens spoliés), « régionalisme » , et ouverture au jazz contemporain et aux autres musiques (blues, hip-hop, cajun, folk, rock, metal…) : quels liens entre les différents « communautés » de la ville, et comment faire exister NOLA sur la scène américaine ? La saison 4 commence au lendemain de l’élection d’Obama…

La série, dénuée de plans larges, tire parti de la lenteur des séquences, assume l’effet carte postale qu’elle anime via des personnages emblématiques et porteurs de message (racisme, corruption, violences, combat pour la défense des droits et l’éducation), mélange comédiens et personnes réelles (musiciens et cuisiniers dans leurs propres rôles), mais, jusque dans ses fragilités et ses personnages secondaires, elle parvient à conserver une belle force de frappe.

La musique joue un rôle exceptionnel au montage par l’intermédiaire de ses musiciens phares : Antoine Baptiste et Delmond Lambreaux (personnages), mais aussi Troy Andrews (Trombone Shorty), Terence Blanchard, Ron Carter, Elvis Costello, Fats Domino, Steve Earle, Donald Harrison, Dr. John, The Neville Brothers, Lloyd Price, The Radiators, Kermit Ruffins, McCoy Tyner, Allen Toussaint, Cassandra Wilson, « Uncle » Lionel Batiste, Henry Butler, John Boutté, Evan Christopher, Coco Robicheaux Davis Rogan, Big Sam Williams, Lucinda Williams, Rebirth Brass Band, Soul Rebels Brass Band, Treme Brass Band…

La bande son de l’intégrale – chaque épisode de la version originale porte le titre d’un morceau – constitue une discothèque fabuleuse associant standards et découvertes, musiques de rues ( second lines ) et musiques de clubs, éphémères et néanmoins enregistrées par la série et pour la postérité. Treme c’est aussi, et peut-être surtout, une succession de concerts, un medley enivrant, un festival comme il n’en existe nulle part ailleurs.

  • Treme , saisons 1, 2, 3 et 4, David Simon et Eric Overmyer, pour HBO (2013)
Culture
Temps de lecture : 4 minutes
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