L’été sanglant du Proche-Orient

Le massacre de Gaza s’appuie sur une propagande israélienne qui vise à transformer un conflit colonial en choc des civilisations.

Denis Sieffert  • 28 août 2014 abonné·es

Deux mille morts. Pour la plupart, des civils, des femmes et des enfants. C’est le bilan, hélas encore provisoire, de cet été 2014 à Gaza. Pendant ce temps, plus au nord, en Irak, l’État islamique (EI) commettait un autre massacre, contre les chiites et les chrétiens, assassinés ou contraints à l’exode dans des conditions effroyables. On ne se livrera pas ici à une arithmétique sordide. Les deux conflits n’ont guère de rapport, sinon de semer le malheur au sein de populations déjà déshéritées. Il y a surtout, pour nous autres, une différence essentielle : le comportement des dirigeants occidentaux.

S’agissant de l’Irak, la condamnation des exactions de l’EI a été unanime. Depuis le 8 août, les États-Unis pilonnent les positions des islamistes pour aider les Kurdes à défendre Erbil, la principale ville du Kurdistan irakien, et à reprendre le terrain perdu, notamment au sud-est de Mossoul, devenu depuis le 10 juin la place forte des insurgés. S’agissant de Gaza, on manifeste tout au plus de l’embarras. Washington laisse paraître une certaine réprobation. Sans plus. Quant à la France, elle a plutôt prodigué ses encouragements au gouvernement israélien, avant de se faire plus discrète à partir du 14 août devant l’ampleur du massacre. Certes, en Irak, la montée en puissance de l’EI est le contrecoup de l’invasion américaine de mars 2003. Le mouvement islamique a massivement recruté parmi les sunnites, chassés de toutes les administrations et marginalisés socialement, d’abord par le proconsul installé par George W. Bush, puis par un pouvoir chiite ultra-sectaire. Mais on n’ira pas jusqu’à affirmer que les Occidentaux sont complices de ce courant fanatique. Ils sont complices, en revanche, du massacre de Gaza. Il suffirait, pour y mettre un terme, que les États-Unis, l’UE et la France, notamment, décident de contraindre Israël non seulement à cesser son offensive meurtrière, mais aussi à accepter une solution de fond. C’est-à-dire la levée du blocus de Gaza et la décolonisation de la Cisjordanie, permettant l’établissement d’un véritable État palestinien ayant Jérusalem-Est pour capitale.

Autant dire que nous en sommes loin, même si le tandem Obama-Kerry montre de plus en plus ouvertement son irritation devant le bellicisme de Benyamin Netanyahou. Et nous en sommes loin parce que les Occidentaux adhèrent peu ou prou à la propagande israélienne. Dans leur discours, la question coloniale apparaît comme un simple « obstacle » à la paix et non plus comme la cause même du conflit. C’est le Hamas qui a désormais ce statut peu enviable, reléguant la colonisation au rang de problème subalterne. Il n’est pas dans le discours israélien un mouvement politique palestinien, mais une branche de la nébuleuse islamiste internationale, amalgamé à Al-Qaïda et à EI. Ce qui est évidemment une contre-vérité et une aberration. Dans la psychologie de MM. Hollande et Valls (Barack Obama est plus subtil), c’est bien le « choc des civilisations » qui se poursuit. Comme le souligne Michel Warschawski ci-contre, c’est ce déplacement idéologique qui est à l’origine de la dérive morale de la société israélienne. Ceux de nos dirigeants qui adhèrent à ce discours sont condamnés au même naufrage.

Le déplacement idéologique suppose aussi un déplacement géographique. Le conflit s’est porté sur Gaza. C’est le cas depuis 2006, avec trois campagnes de bombardements intensifs sur la population civile au prétexte qu’il faut « éradiquer » le Hamas. C’est un jeu de bonneteau sanglant. Car, en réalité, les véritables enjeux du conflit se situent toujours en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Mais, pendant que les projecteurs sont braqués sur Gaza et la lutte contre « les islamistes », la colonisation peut se poursuivre sans susciter autre chose que quelques froncements de sourcils de la part des dirigeants occidentaux. L’extrême droite israélienne et le lobby des colons, solidement installé au gouvernement de M. Netanyahou, ont donc réussi à imposer leur discours, accompagné d’un monstrueux racisme qui fait peu de cas des vies humaines quand elles sont arabes. Cette manipulation, assez visible pour qui veut voir, n’est pas sans causer d’énormes dégâts jusque chez nous. Jusqu’à susciter des vocations de jihadistes. Confusion pour confusion…

Monde
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