La connaissance marchandise ?

Exit la recherche de longue durée, place au financement de projets.

Jean-Marie Harribey  • 11 septembre 2014 abonné·es

Un rapport récent de l’OCDE est passé assez inaperçu. Pourtant, il aborde une question cruciale pour l’économie française et les politiques d’innovation, afin de mettre le système français de recherche et d’innovation au service de la croissance économique et de la compétitivité [^2]. Selon l’OCDE, « les conditions-cadres de l’activité économique en France sont peu favorables à l’innovation : le marché du travail et les marchés des produits manquent d’ouverture et de flexibilité, la fiscalité sur les entreprises et les investissements est lourde et complexe ».

La France a depuis longtemps engagé des réformes de son système de recherche en suivant les préconisations de la « stratégie de Lisbonne » (mars 2000). Mais, dit l’OCDE, il faut aller plus loin et « mobiliser les structures de façon stratégique ». Par exemple, poursuivre « des politiques d’enseignement d’excellence en renforçant les liens avec la recherche à travers la promotion d’un nombre limité d’universités de recherche ». Ou bien entreprendre « une évolution du statut [des chercheurs]  » en fonction de la priorité donnée désormais au financement de la recherche sur la base de projets. Exit les chercheurs permanents qui effectuent des travaux de longue durée. Place aux structures qui nouent des contrats avec les entreprises pour développer la concurrence : « Le système de la recherche publique français est composite. Il consiste en la juxtaposition d’éléments provenant de deux modèles différents d’organisation de la recherche : le modèle traditionnel, “administré”, fondé sur les grandes structures autonomes, ayant un contrôle fort sur leurs domaines d’activité respectifs ; et un modèle nouveau, fondé sur une programmation maîtrisée par l’État, une part de financements concurrentiels par projets, des laboratoires liés aux universités et une évaluation indépendante. […] La voie suivie par la France au cours de la dernière décennie a consisté à étendre le domaine couvert par les mécanismes concurrentiels par rapport au modèle administré, en vue de promouvoir excellence et pertinence (par rapport aux objectifs économiques et sociaux). »

On comprend mieux ce qu’est alors ladite économie de la connaissance, c’est la connaissance au service de l’économie. En 1944, l’historien et économiste hongrois Karl Polanyi analysait dans la Grande Transformation la marchandisation conduite par le capitalisme, avec des accents très marxiens, comme un processus voulant transformer le travail, la terre et la monnaie en marchandises, qu’il appelait fictives car elles ne répondent pas au critère de la marchandise. Nous sommes arrivés au point où ce processus atteint une quatrième marchandise aussi fictive, la connaissance. Le point commun entre ces quatre éléments est qu’ils n’existent pas à l’origine pour le marché, mais sont constitutifs de la société et de la vie humaine. Le capitalisme a besoin d’entretenir cette fiction pour que, concrètement, travail, terre, monnaie et maintenant connaissance deviennent des instruments de l’accumulation. Le « désencastrement » de l’économie par rapport à la société ne peut que détruire celle-ci. Nous en sommes là. Il faut rebâtir un système de protections contre cette entreprise mortifère.

[^2]: « Examens de l’OCDE des politiques d’innovation », France, 2014.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes