Patrimoine: la fin programmée des parcs nationaux livrés au pouvoir des élus locaux ennemis des loups et de la faune sauvage

Claude-Marie Vadrot  • 19 septembre 2014
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Avec les progrès de la décentralisation, s’il est possible d’écrire qu’il s’agisse d’un progrès et non pas d’une balkanisation au profit des pouvoirs d’une petite aristocratie d’élus locaux et régionaux, l’idée des parcs nationaux garants, déjà imparfaitement, des biodiversités françaises est en train de s’effacer, de passer pour un anachronisme et pour une vieille lune. Quoique ne couvrant que bien moins de 1% du territoire métropolitain français, ces dix parcs nationaux (lorsque l’on inclut ceux de Guyane, Guadeloupe et Réunion), gênent de plus en plus les élus, locaux, les aménageurs, les chasseurs, les responsables de la Confédération paysanne, les caciques de la FNSEA, les offices de tourisme et toutes les technocraties agissantes: tous pressés de mettre fin à ce qu’ils considèrent comme une anomalie, une survivance du passé. Un passé pourtant récent. Une idée, réclamée depuis le début du XX° siècle, que la France n’a mis en application par une loi de 1960 signée et voulue par André Malraux qui n’était pourtant pas un écolo. Il fallu d’ailleurs trois ans pour que cette loi s’applique avec la création du Parc National de la Vanoise et du Parc National de Port Cros, en juillet puis décembre 1963. Des dizaines d’années après des décisions semblables aux Etats-Unis, en Suisse, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne et même en Union Soviétique. Pourtant, immédiatement de nombreux élus locaux, les chasseurs et des agriculteurs se dressèrent contre la décision. Sans oublier les promoteurs du tourisme hivernal qui voyaient quelques champs de neige leur échapper…

D’ailleurs, effarouché par son audace pourtant tardive, sous la pression des élus, le législateur français inventa même en 1967 une pâle copie de ces parcs nationaux : les parcs naturels régionaux. L’utilisation du mot « Parc » laissant supposer que ces espaces créés et gérés par les élus locaux sous le contrôle des Régions, induisaient une quelconque protection de la nature, des paysages, des espèces animales ou végétales et des écosystèmes. Il n’en est rien, les parcs régionaux ne sont que des zones d’aménagement économique concerté, probablement nécessaire et utiles, mais ils ne protègent que les ego des élus : et ces espaces seraient parfaits s’ils perdaient à la fois le mot parc et le mot naturel. Aucun texte, même ceux qui réglementent leur création et leur gestion, ne prévoit la moindre préservation des espaces naturels et l’urbanisme commercial y l’affichage sauvage sévissent avec les mêmes laideurs qu’ailleurs. Ce n’est pas par hasard que ces parcs régionaux essentiellement voués (à part cinq ou six comme la Brière ou les Vosges du Nord) à la promotion de saucissons, de jambons, de cassoulet, de vieilles dentelles, de confitures, d’écomusées poussiéreux peu visités ou de fabriques de sabots, soient désormais au nombre de 49 et qu’une bonne vingtaine soit dans les cartons. La France sera bientôt un gigantesque parc régional sans que la nature y soit mieux protégée.

Malheureusement, la confusion étant soigneusement entretenue par les élus et les pouvoirs publics de droite comme de gauche, d’après les enquêtes menées par des sociologues, 97 % des Français ne font pas la différence entre les parcs régionaux et les parcs nationaux. Ce qui dévalorise ces derniers puisque touristes, promeneurs et usagers s’étonnent de croiser des chasseurs dans un « parc » (régional), d’y trouver des atteintes aux paysages, des cultures intensives, des assèchements de marécages, des épandages de pesticides et rarement plus de cultures bio qu’ailleurs. Ils en déduisent que les parcs en général, puisque tous confondus dans les perceptions, ne servent pas à grand-chose.

Le pouvoir exécutif et les élus, en modifiant progressivement la législation, ont donc entrepris d’affaiblir la fonction des parcs nationaux. En détricotant, le mot et la chose à la mode, ce qu’ils représentent comme protection du patrimoine de la biodiversité tout en permettant depuis leur origine, ce qui est normal, les activités agricoles et pastorales. Les révisions des réglementations des parcs en cours n’ont qu’un objectif : amoindrir encore plus le pouvoir et le rôle des scientifiques ainsi que celui des associations de protection de la nature. Au profit de cinq catégories socioprofessionnelles: les agriculteurs (logiquement), les associations de chasseurs, les offices de tourisme et les promoteurs associés, et des élus locaux. Ces derniers ont en passe de prendre le pouvoir dans les conseils d’administration des parcs, leur objectif étant avant tout de satisfaire les chasseurs et les appétits touristiques. Tous les comptes-rendus des discussions et délibération en cours montrent que pour les élus locaux, un parc national est avant tout un objet touristique, un objet à vendre, une source de profits et non pas un espace de protection rigoureux comme autrefois prévu par la loi et les scientifiques qui avaient demandé ce texte et les protections.

Ce sont ces élus locaux qui ont réclamé stupidement, et obtenu, que l’on pourchasse et élimine les loups jusque dans les parcs nationaux, ce sont les élus locaux qui ont exigé et obtenu que soient abattus, pour cause de Brucellose, la majorité des bouquetins dans le massif de Bargy en Haute-Savoie. Tout prés du Parc National de la Vanoise dont la création a justement permis de sauvetage de cette espèce (protégée) alors en voie d’extinction. Ce sont les élus locaux qui s’opposent, avec chasseurs et éleveurs, et avec succès, à la réintroduction de nouveaux ours brun dans les Pyrénées. Partout, ces élus locaux partent en guerre contre tout ce qui est sauvage : les rapaces, les loutres, les lynx ou les marécages « qui font sales et entretiennent les moustiques ». Ces élus auxquels l’Etat veut donner encore plus de pouvoirs pour massacrer des paysages avec des permis de construire (parfois dangereux) de complaisance, préfèrent consacrer l’essentiel de leurs financements aux ronds-points, aux vasques urbaines fleuries, aux squares et parcs urbains bien propres, plutôt qu’aux réserves naturelles. Lesquelles ne les intéresse que comme lieu touristique. Ce sont les élus locaux qui ont victorieusement bataillé pour que le Parc national des Calanques ne soit qu’une caricature de parc national et que tous les autres parcs soient voués à devenir des parcs de loisirs une fois écarté les loups, les animaux sauvages, les marmottes non apprivoisées, les scientifiques. Tout en affaiblissant les responsabilités nécessaires des directeurs de parcs nationaux. Ce qui n’empêche pas l’Etat et tous les élus, locaux et autres, de célébrer la journée du « Patrimoine naturel ». Célébration qui ressemble à un enterreme t

Les écologistes ne leur résisteront peut-être pas à la négation du vivant, du sauvage et de la nature, mais il est probable que les loups, les lynx et les rapaces et tous les autres réussiront, eux, à survivre…

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