Quand le tango envoie valser le classicisme

Un double album retrace l’émancipation de ce genre musical dans les années 1960.

Denis Constant-Martin  • 25 septembre 2014 abonné·es
Quand le tango envoie valser le classicisme
© **Nuevo Tango** , coffret de 2 CD, Frémeaux. Photo : Astor Piazzola par AFP

Né dans les faubourgs marins de Buenos Aires, destiné à faire danser puis rêver par la chanson des hommes venus de loin, le tango devient, durant les années 1940 et jusqu’au milieu de la décennie suivante, un phénomène de masse qui conjugue grands orchestres et paroles sentimentales. Lié de manière ambiguë au règne de Perón, l’âge d’or du tango classique se referme avec le coup d’état militaire, en 1955, qui chasse el Conductor. Les musiciens réagissent en faisant évoluer leur art. Ils le dissocient de la danse, le dépouillent de ses paroles pour rechercher une plus grande liberté. Aníbal Troilo conduit cette transition. Maître des típicas, grands orchestres aux arrangements élaborés, il réduit sa formation pour mieux mettre en valeur les mélodies et conçoit ses compositions comme des concerti grossi pour bandonéon, dynamiques et colorés. Il intègre la guitare à son orchestre et la fait magnifiquement dialoguer avec le bandonéon. Astor Piazzola quitte le groupe de Troilo en 1946. Ayant vécu à New York, il connaît le jazz. Fasciné par la modernité de la musique classique européenne, il suit les enseignements du compositeur argentin Alberto Ginastera et va travailler en France avec Nadia Boulanger. Astor Piazzola apparaît rapidement comme la tête de proue du Nuevo Tango. Il s’émancipe complètement de la danse, met au premier plan un violon issu du romantisme européen, multiplie les accents et les brisures pour enrichir le rythme, étend l’harmonie, tout en conservant une allure immanquablement « tango ».

Piazzola avait été devancé sur cette voie par le pianiste Horacio Salgán, pourvoyeur de mélodies syncopées qui donnaient aux interprétations de son Quinteto Real une énergie insurpassée. Troilo, Salgán et Piazzola ont gravé au début des années 1960 quelques-unes de leurs plus belles faces. Teca Cazalans et Philippe Lesage, qui signent un livret bien documenté, en ont sélectionné 36, constituant ainsi un excellent coffret de deux CD pour les éditions Frémeaux, intitulé simplement Nuevo Tango. Ce faisant, ils rappellent l’imagination avec laquelle ces musiciens, et notamment les moins connus, Troilo et Salgán, ont conféré au tango une nouvelle dimension.

Musique
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