Brésil : Un vote contre la classe politique

Si le candidat de droite, Aécio Neves, est devenu le favori des sondages, la population exprime surtout son rejet du gouvernement actuel.

Patrick Piro  • 23 octobre 2014 abonné·es
Brésil : Un vote contre la classe politique
© Photo : AFP PHOTO / NELSON ALMEIDA

À une semaine du second tour de la présidentielle, le 26 octobre, le Brésil des urnes est d’une opacité totale. Vendredi dernier, un sondage de l’Institut Sensus plaçait Aécio Neves (Parti de la social-démocratie brésilienne, PSDB, centre droit) à 13 points devant la présidente sortante, Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT, gauche). Suspicion immédiate de biais, voire de manipulation : les autres officines mettaient les deux candidats au coude-à-coude, léger avantage à Neves.

Là n’est pas la moindre surprise, cependant. Il y a un mois, Aécio Neves flottait à moins de 20 % des intentions, éliminé d’un second tour qui promettait un affrontement entre Dilma Rousseff et Marina Silva (Parti socialiste brésilien, PSB, gauche), toutes deux identifiées comme porteuses d’un programme social fort. Le sociologue Mauro Paulino, directeur de l’institut de sondage Datafolha, le confesse : jamais le pays n’a connu une telle incertitude électorale depuis le retour de la démocratie en 1985. Il y a quelques mois encore, il paraissait évident que les élections générales de 2014 [^2] seraient dominées par les revendications des mouvements qui ont agité la rue en juin 2013, ainsi que par les turpitudes de l’organisation de la Coupe du monde de football. Or, alors que Rousseff semblait n’avoir qu’à gérer une confortable avance dans les sondages, l’opinion s’est emballée avec la candidature inopinée de Marina Silva, mi-août dernier. Remplaçant au pied levé son chef de file, Eduardo Campos, disparu dans un accident d’avion, elle est devenue en quelques jours favorite des sondages, avant d’être éliminée du second tour, le 5 octobre, à la surprise générale, et avec seulement 21,3 % des voix ! [^3]. Plusieurs explications ont été suggérées pour éclairer un tel échec – les erreurs de la candidate, son matraquage par le PT et le PSDB, la retombée de l’émotion provoquée par la tragédie Campos.

Rien n’invalide cependant la raison principale de cette popularité éclair : le désir de changement. Neves semble en être devenu ipso facto le porte-drapeau, alors même que ce politicien, bien que porteur d’un bon bilan économique comme gouverneur de l’État du Minas Gerais, est un pur représentant d’une élite politique des plus classiques, casseroles judiciaires comprises. Poulain d’une droite revancharde, frustrée du pouvoir depuis 2002, Neves a reçu le soutien de Marina Silva, qui a pourtant longtemps milité au PT. Incompréhensible en termes de trajectoire politique, un tel choix exprime néanmoins le rejet du parti de Rousseff, marqué par une décennie de scandales. Avec 41,6 % des voix, la présidente sortante a réalisé le plus bas résultat de premier tour de son parti depuis l’élection de Lula en 2002. Le 5 octobre, 15 % des électeurs ont arrêté leur choix au dernier moment. Deux tiers des électeurs déclarent n’avoir de préférence pour aucun parti : un record. Le politologue Antonio Lavareda relève que la proportion des suffrages qui ne se sont pas portés sur Rousseff, abstentionnistes, blancs et nuls compris, culmine à 70 %. Un taux de rejet « exceptionnel » du gouvernement PT, déjà perceptible avant juin 2013 « et amplifié depuis les manifestations ». Le second tour se décidera non plus sur l’adhésion, « mais sur le rejet d’un des adversaires [^4] » .

Les candidats semblent en avoir pris leur parti : le dernier de leur débat télévisé s’est résumé à un ping-pong d’accusations de corruption et de mensonges. Neves accuse la Présidente d’avoir fait caler la croissance économique, Rousseff agite la peur, si elle perd, d’un démantèlement des programmes d’assistance qui ont tiré onze millions de familles de la grande pauvreté. Cette opposition, qui instrumentalise le classique affrontement électoral entre le cœur économique du Sud-Est et les classes défavorisées du Nordeste, escamote l’essentiel des revendications portées en juin 2013 par les classes moyennes urbaines. « Nous assistons à un débat du passé, qui ignore les nouveaux défis du pays, la campagne est pratiquement muette sur les inégalités sociales, le droit à la mobilité, à la sécurité, à la santé, à l’éducation, écrit le sociologue Cândido Grzybowski, directeur de l’Institut brésilien d’analyses sociales et économiques (Ibase). Marina Silva, par son inconsistance programmatique et son opportunisme politique, a failli dans son projet de porter la demande de changement qui s’est exprimée. Les signaux émis par la rue n’ont pas suscité de réponse de la part de notre système démocratique. C’est un péril politique, et la rue peut se manifester de nouveau à n’importe quel moment. »

[^2]: Pour la présidence, les députés fédéraux, le tiers du Sénat, les gouverneurs et députés d’États.

[^3]: Voir Politis n° 1321 et 1322.

[^4]: TV Cultura, tvcultura.cmais.com.br/rodaviva, 6-10-2014.

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