Martine Aubry, « candidate… au débat d’idées »

La maire de Lille signe son retour dans un entretien au JDD et avec une contribution aux Etats généraux du PS. Comme les « frondeurs », elle réclame une « réorientation de la politique économique ».

Michel Soudais  • 19 octobre 2014
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Martine Aubry, « candidate… au débat d’idées »
© Photo: PHILILPPE HUGUEN / AFP

Son retour était annoncé depuis l’université d’été de La Rochelle. Discrète depuis le début du quinquennat, Martine Aubry est passée à l’offensive ce dimanche. Dans un long entretien au Journal du dimanche (à lire ici ou encore ici), elle éreinte la politique économique de François Hollande et de Manuel Valls avec des arguments très proches de ceux avancés par les députés PS frondeurs. Parallèlement, elle a publié dans la nuit sur internet (www.ensemble-reussir.fr) sa contribution aux États généraux du PS, où elle plaide pour « une nouvelle social-démocratie » , c’est-à-dire « ni le libéralisme économique, ni le social-libéralisme » . Un texte signé à ce stade par 34 responsables socialistes: des députés frondeurs comme Jean-Marc Germain et Christian Paul, mais aussi des présidents de région (Jacques Auxiette, François Bonneau, Marie-Guite Dufay et René Souchon), les ex-ministres François Lamy et Philippe Martin, des présidents de conseils généraux (Matthieu Klein, André Vezinhet) et des députés non étiquetés « frondeurs ».

Critique sur le bilan de la première moitié du quinquennat , la maire PS de Lille, Martine Aubry demande dans le Journal du dimanche à François Hollande et à Manuel Valls d’ « emprunter le bon chemin dans les deux ans qui viennent » , faute de quoi la gauche va « échouer » en 2017. Affirmant vouloir regarder « la vérité en face » , elle affirme : « La politique menée depuis deux ans, en France, comme presque partout ailleurs en Europe, s’est faite au détriment de la croissance. » D’où sa demande d’une réorientation, présentée comme « une inflexion » , de la politique conduite par le gouvernement. « Il nous faut trouver au plus vite le bon réglage des politiques économiques qui permettra de sortir la France de la crise. Et puis, il nous faut refaire de la politique. (…) La question n’est pas de renoncer à réduire les déficits. (…) Il n’y a pas d’un côté les sérieux et de l’autre les laxistes. Mais je demande une inflexion de la politique entre la réduction des déficits et la croissance. Je demande qu’on réoriente la politique économique. »

Un pavé dans la mare

Côté propositions , l’ancienne ministre des Affaires sociales « propose de mieux cibler les aides aux entreprises sur celles qui sont exposées à la concurrence internationale, et sur celles qui investissent et embauchent » , un « plan de soutien à la croissance, qui touche les ménages et les collectivités locales » ainsi qu’une « fusion » du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) avec le crédit d’impôt recherche. « 20 milliards d’euros peuvent et doivent être ainsi libérés sur les 41  milliards d’euros » en faveur des entreprises, exige-t-elle. Elle juge également qu’une grande réforme fiscale « est plus que jamais nécessaire pour réconcilier les Français avec l’impôt » . « Elle est préférable à des mesures au fil de l’eau, aux allers-retours sur les mesures fiscales, aux baisses des prestations familiales ou au gel des retraites qui inquiètent les Français en situation difficile. Nous disons depuis des années qu’il faut faire de la CSG et de l’impôt sur le revenu un seul et même impôt citoyen. Il est temps de le faire. On pourrait ainsi distribuer du pouvoir d’achat aux plus modestes et le prélèvement à la source permettrait d’éviter de se retrouver dans la difficulté quand votre revenu baisse brutalement. »

Autant de propositions que les députés PS frondeurs mettent en avant depuis un peu plus de six mois et dont Martine Aubry ne cache plus qu’elle les « partage » . Et même « regrette que le Parlement n’ait pas pu en discuter » . Un pavé dans la mare au moment où le gouvernement et son fidèle relais à l’Assemblée nationale, le président du groupe des députés socialistes, Bruno Le Roux s’efforce de museler les contestataires.
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« J’espère que la prise de conscience sera là, que le débat aura lieu , ajoute Martine Aubry. En tout cas, plus on sera nombreux à le dire à gauche –élus nationaux ou locaux, mais aussi dans la société civile– plus on aura une chance d’être entendus. Dans le passé, faute d’avoir débattu, nous avons souvent payé le prix. (…) Et puis, ne peut-on arrêter d’appeler ‘frondeurs’ des députés qui connaissent l’économie, souhaitent le succès du gouvernement et portent une vision de la Ve  République où le Parlement est pleinement respecté dans ses prérogatives ? »

Favorable à une « nouvelle social-démocratie » , elle juge que « la réforme doit être synonyme de progrès » en visant autant le gouvernement Valls que le patronat : « Il faut en finir avec les vieilles recettes libérales. Ne perdons pas notre temps dans des débats du passé sans cesse remis sur la table par le Medef : le repos dominical, c’était il y a un siècle, l’assurance-chômage, soixante ans, les lois Auroux et les seuils sociaux, trente ans, les 35 heures, seize ans. Les remettre en cause aujourd’hui, ne nous leurrons pas, ne créera pas d’emplois. Va-t-on passer le XXIe siècle à défaire ce que l’on a fait au XXe ? La responsabilité de notre génération politique n’est pas celle-là. Résolument tournés vers l’avenir, nous devons investir pour régler les trois défis de notre temps : la révolution numérique, le réchauffement climatique et les fractures entre les territoires. Il n’est pas trop tard pour réussir. Tout dépend de nous. » Interrogé sur le rôle qu’elle veut jouer dans la seconde moitié du quinquennat, Martine Aubry se contente d’une réponse sybilline : « Je suis candidate… au débat d’idées. » Sur ses intentions, la maire de Lille reste une énigme.

Lire > L’énigme Aubry

Politique
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