« Démocratie, année zéro », de Christophe Cotteret : « Dégage », crient-ils

Christophe Cotteret revient sur les origines sociales et politiques de la révolution tunisienne.

Jean-Claude Renard  • 6 novembre 2014 abonné·es
« Démocratie, année zéro », de Christophe Cotteret : « Dégage », crient-ils
© **Démocratie, année zéro** , 1 h 38. Photo : DR

C’est une main levée qui occupe le premier plan du film. Non pas un poing, mais une main ouverte, paume déployée. Celle de Gilbert Naccache, un Tunisien opposant historique à Bourguiba, emprisonné de 1968 à 1979. « Nous sommes peut-être au point de départ d’un ensemble de révolutions du XXIe siècle. Avec quelque chose de très nouveau dans l’histoire de l’humanité : une révolution de la société civile contre la société politique tout entière. » La formule de Naccache se veut le préambule de Démocratie, année zéro, de Christophe Cotteret, s’ouvrant sur une première partie baptisée « Résistance ». Point de départ de ce docu passionnant : le sud-ouest tunisien, à trois encablures de la frontière algérienne. Le début du désert. Le début de l’histoire aussi, quand ce bassin minier de Gafsa se met en grève, en 2008, représentant la plus longue révolte du pays.

Ç’aurait pu être le récit d’une injustice ordinaire, celle engendrée par la compagnie de phosphate, dont les profits colossaux demeurent dans l’escarcelle des élites corrompues. En face, ce sont des mineurs asphyxiés par la misère et le chômage, abandonnés par un État qui n’a que faire de cette Tunisie du centre, trop prompte à la contestation. La lutte va durer six mois, entre arrestations et tabassages. Premier test pour le régime de Ben Ali, qui pense avoir maté une petite rébellion. Mais ce combat se révélera le premier acte de la révolution, qui surviendra trois ans plus tard. En 2010, grèves et manifestations se succèdent. Jusqu’à cette date du 17 décembre, quand Mohamed Bouazizi, jeune vendeur de fruits et légumes, s’immole à Sidi Bouzid, après que les autorités ont confisqué son étal. L’information circule sur les réseaux sociaux, elle est censurée au journal télévisé.

La révolution est en marche ; elle se fera à travers les cyber-activistes, comme Azyz Amami, livrant son regard face caméra, rapportant par exemple cette anecdote : à Sidi Bouzid, pour encourager les cocktails Molotov, le troisième bidon d’essence est offert pour deux bidons achetés ! Sur ces réseaux, sur lesquels s’appuie beaucoup le réalisateur, capturant des images d’Internet, les mots sont simples : non aux mafias, non à la corruption, au clientélisme. Non au suicide des jeunes Tunisiens. « Dégage ! » Après quoi, sonneront les heures d’une transition qui se cherche, où tout reste à « inventer », dont Moncef Marzouki sera l’une des figures principales, au cœur d’une chronologie récente que respecte sobrement Christophe Cotteret. Plus qu’une aventure humaine, une épopée collective, déterminée. Qui, justement, n’est pas terminée.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes