Grands bouquins pour curiosité immense

À l’occasion de la 30e édition du Salon du livre de jeunesse de Montreuil, qui se tient jusqu’au 1er décembre, zoom sur deux albums au format extra-large.

Ingrid Merckx  • 27 novembre 2014 abonné·es
Grands bouquins pour curiosité immense
© **Cabinet de curiosités** , Camille Gautier et Jeanne Detallante, Actes Sud Junior, 64 p., 21 euros. **Et Picasso peint les enfants** , Alain Serres, Rue du monde, 58 p., 23,90 euros. Photo : éd. Actes Sud junior

Du sang de dragon ? En trouvait-on vraiment dans certains cabinets de curiosités, ces ancêtres des musées également appelés « chambres des merveilles » et que des collectionneurs se plaisaient à faire visiter, enveloppant chaque « création » animale ou humaine dans un récit d’aventure ? Rodolphe II, empereur germanique, petit-fils de Charles Quint, qui régna fin XVIe, début XVIIe, en avait un, paraît-il, dans les sous-sols de son château, comprenant une salle des chimères, une de divination, une autre d’armes et celle des abominations. C’est ce que relatent Camille Gautier et Jeanne Detallante, dans un ouvrage aussi curieux que son sujet. Un album qui s’ouvre en format extra-large, dans le même sens qu’un carnet à dessins, et donne à voir sur de grands à-plats bariolés une profusion de spécimens étonnants ou fantastiques. Les créatures et objets épinglés, empaillés ou exposés marquent par leurs dimensions : un insecte de la taille d’un espadon, une chauve-souris aussi grosse qu’une tête de gazelle, une mygale rivalisant avec un crotale… Chaque double page se présente comme une tentative de rangement à l’intérieur du capharnaüm. Ainsi, le rémora, poisson à ventouse ayant la réputation de pouvoir arrêter les bateaux ou de geler l’eau autour de lui, se trouve-t-il dans la salle « 20 000 lieues sous les mers ». Et l’axolotl, amphibien capable de régénérer ses propres organes, côtoie une chèvre à deux têtes, un lapin avec des bois et un aigle à pattes de léopard. Licorne, mandragore et bézoard : y a-t-il une part d’imaginaire dans ce livre qui renvoie aux débuts de l’encyclopédie et de la muséographie ?

La promenade au musée était l’un des objectifs de Rue du monde dans un joli livre paru l’année dernière, le Petit Musée du rouge (voir Politis n° 1302, du 7 mai 2014). L’éditeur Alain Serres réitère sa proposition en consacrant un ouvrage de grande dimension à 80 « images » de Picasso, dessins ou peintures. Où l’on retrouve une volonté de rangement par thème, comme « Jeux de cubes » ou « Métamorphoses », avec un accent donné à l’enfance, littérature de jeunesse oblige, comme le tableau représentant l’infante d’Espagne. Le ventre du livre est en effet constitué d’une sorte de cahier sur fond noir consacré au travail de Picasso sur les Ménines de Vélasquez. Un volet dépliant, qui offre encore de l’envergure au livre, permet de garder un œil sur l’œuvre de l’aîné pendant que l’on tourne les pages consacrées à celles de son cadet. Les tableaux réalisés en 1957 par Picasso reprenant les gestes de Vélasquez se déploient largement sur les pages. Le texte balance souplement de la visite guidée à l’éducation à l’image. Le livre lui-même tenant presque moins de l’album que du livre d’art. Une tendance chez les éditeurs jeunesse ? Si le format géant n’est pas une nouveauté –  Babar ou Charlie s’affichant en XL depuis plusieurs générations –, il est de moins en moins rare de voir des albums dits de jeunesse dépasser le format BD. Soit pour un conte faisant une large place au dessin, soit pour des projets plus documentaires qui vont du carnet d’activités au terrain de jeu en passant, en l’occurrence, par les couloirs de musée. À se demander si certains projets ne s’invitent pas dans la littérature de jeunesse, territoire foisonnant et riche de possibles en matière de choix de papier, de techniques de réalisation, de disposition texte-image, de sujets abordés, et donc de format. De moins en moins formaté, et ouvert aux curiosités.

Littérature
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