Le grand soir des nouveaux réacs

Gaël Brustier analyse le réveil conservateur, sur fond de faillite culturelle de la gauche.

Pauline Graulle  • 20 novembre 2014 abonné·es
Le grand soir des nouveaux réacs
© **Le Mai 68 conservateur. Que restera-t-il de la Manif pour tous ?** , Éd. du Cerf, 230 p., 18 euros. **Crédit photo:** Michel Soudais

Et si, en lieu et place du grand soir tant attendu par la gauche, la France avait vécu un « Mai 68 conservateur » au printemps 2013 ? La thèse de Gaël Brustier pourra surprendre ceux qui voyaient dans l’émergence de la Manif pour tous (LMPT) la dernière convulsion d’un monde sur le point de disparaître. « L’erreur serait de croire que, défaits par le vote de la loi [sur le mariage pour tous, NDLR], les partisans de ce mouvement se sentent battus politiquement […]. Ils n’en sont qu’à leurs premières grandes manœuvres », écrit le politologue dans son analyse du « printemps conservateur ». Une plongée au cœur d’un mouvement hybride, irréductible à l’extrême droite ou au catholicisme intégriste, qui rassemble aussi l’électorat catholique traditionnel délaissé par le sarkozysme et les déçus de politiques tellement obsédées par l’économie qu’elles en ont abandonné le terrain des valeurs.

C’est dans cette faille idéologique que s’est engouffrée LMPT. Avec pour toile de fond « l’anxiété sociale » qui a étreint la société française, et la faiblesse d’une gauche au pouvoir qui, après avoir perdu son « hégémonie culturelle », s’est retrouvée incapable de plaider pour le mariage pour tous en dehors de l’hémicycle. « L’enfant paradoxal et non reconnu de Vatican II et de Mai 68 », ainsi que Gaël Brustier qualifie LMPT, est donc bien de son temps, c’est-à-dire postmoderne. Conjuguant traditionalisme moral et sens du « buzz », elle a su mobiliser dans les paroisses aussi bien que sur le Web. Empruntant au « Mai 68 » honni son efficacité esthétique ou à la Gay Pride son talent pour l’organisation de défilés. As de la propagande contre le mariage homo, la gestation pour autrui et, surtout, la fameuse « théorie du genre », LMPT « a redonné vie à l’idéologie conservatrice ». Elle a ses intellectuels, théoriciens d’une curieuse « écologie humaine » opposée au capitalisme et au consumérisme, où le rejet de la pilule côtoie celui des OGM. Et ses très médiatiques représentants : Mgr Barbarin ou l’inénarrable Frigide Barjot. Elle a aussi donné naissance à une nébuleuse d’associations : les Veilleurs, les Antigones ou les Hommen. Creusets d’une nouvelle génération de militants et de cadres politiques « formés sur le pavé et rompus aux foules », qui comptent bien, sinon grimper demain par le suffrage universel dans les hautes sphères de l’État, du moins les infiltrer pour peser dans le débat public. Avec des relais politiques comme Laurent Wauquiez ou Marion Maréchal-Le Pen, LMPT dispose désormais de solides atouts pour mener son combat.

Idées
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