Éducation : « Zappe pas ma ZEP ! »

Le collège Camille-Corot, à Chelles, en Seine-et-Marne, ne devrait plus faire partie du réseau d’éducation prioritaire. Il proteste, avec le soutien du quartier, contre la nouvelle carte, bientôt définitive.

Ingrid Merckx  • 9 décembre 2014 abonné·es
Éducation : « Zappe pas ma ZEP ! »

Jean-Riad invite à faire un tour en voiture. Pas de hasard si ce professeur d’histoire-géo au collège Camille-Corot, à Chelles (77), démarre ses explications sur la mobilisation contre le « déclassement ZEP » par une visite du quartier. Depuis leur création en 1981, les zones d’éducation prioritaire recoupent des réalités scolaires et sociales corrélées. Le quartier des Coudreaux est à cheval sur deux communes : Chelles et Montfermeil. Pour deux zonages « Politique de la ville » bien distincts. La réforme de l’éducation prioritaire devait se faire en cohérence avec la réforme de la Politique de la ville. Depuis l’annonce, par le recteur d’académie, que Camille-Corot ne ferait pas partie du futur Réseau d’éducation prioritaire (REP) et perd son classement ZEP, l’incohérence vire à l’injustice pour cette population.

Ils sont près de 10  000 habitants sur ce plateau en lisière du bois de Bondy, à cinq kilomètres du centre-ville. Mal desservi. Isolé. « Parfois, quand on emmène des collégiens au cinéma en centre-ville, c’est la première fois qu’ils sortent des Coudreaux » , révèle l’enseignant. Plus vraiment la ville, pas encore la campagne, la géographie est « horizontale »  : le quartier n’est pas fait de grosses tours mais plutôt de petits pavillons. « Du coup, les gens se disent que la population est plutôt de classe moyenne. Erreur : ces pavillons dissimulent de la misère » , poursuit Jean-Riad.

Dans le quartier des Coudreaux, la cité de Chappe a été en partie démantelée et ses habitants relogés dans des petites maisons. « C’est mieux que des cités, mais ça reste du logement social. Et ce quartier, très dur, a la réputation d’abriter des familles de bandits. » L’autre partie de Chappe est en travaux de renouvellement urbain. « Il est encore tôt, les jeunes -desœuvrés ne sont pas levés , sourit le professeur en conduisant entre les immeubles et les pelleteuses. Normalement, on ne traverse pas. » Depuis onze ans qu’il enseigne à Corot, les habitants le connaissent, il est respecté. C’était son deuxième poste de professeur débutant, après un an passé à Dunkerque. Il est resté.

Tout le quartier est mobilisé

La cité de Chappe a été construite par des immigrés algériens et marocains qui vivaient en bidonvilles. Sorti de terre pour leurs enfants, Corot est en ZEP depuis la naissance de l’éducation prioritaire. « En classe, nous avons des enfants de troisième et quatrième générations , poursuit Jean-Riad, ainsi que des néo-arrivants et des non-francophones qui viennent de Tchétchénie ou qui fuient la guerre en Centrafrique. Avec ces profils, des classes de 24  [nombre d’élèves par classe en ZEP, NDLR], c’est limite, des classes de 30, c’est ingérable. » Comme ses collègues, il ne comprend pas que l’établissement soit déclassé. La sociologie des Coudreaux n’a pourtant pas changé. Les résultats au brevet sont certes en hausse, mais toujours plus bas que la moyenne nationale. Tout le quartier est mobilisé. Dans la rue du collège, sur certains immeubles et les grilles de l’école mitoyenne, des banderoles affichent : « Zappe pas ma ZEP ! » ou « SOS ZEP en détresse » .

La semaine dernière, des enseignants de Corot, des parents, des personnels et des élus qui les soutiennent sont allés manifester devant l’inspection académique de Melun. « La Seine-Saint-Denis gagne 13 ZEP, ce qui est très bien ! Mais la Seine-et-Marne en perd 9 ! , s’étonne Jean-Riad. Les collines, là-bas, c’est la cité des Bosquets et Clichy-sous-Bois, d’où sont parties les émeutes de 2005. Juste après, ça flambait chez nous. » Il gare sa voiture et pousse la grille du collège. «   Combien sont- ils dans la cour ?  », demande-t-il à une surveillante alors que sonne la fin de la récré.

Camille-Corot est « collège désert » ce vendredi 5 décembre. Cette opération, qui alterne avec les jours de grève, est nettement moins prisée de la hiérarchie, car, si les enseignants sont là, les parents, solidaires, gardent leurs enfants à la maison. « Seuls 50 à 60 sur 520 sont venus, -surtout des élèves de 6 e et de 5 e  » , évalue le prof d’histoire-géo. « Monsieur, nous ne sommes que deux » , annonce une élève au prof de technologie. « Ce n’est pas grave, on va travailler sur Google SketchUp » , rassure l’enseignant. « C’est un des avantages d’être en ZEP, on a du bon matériel informatique , commente Jean-Riad. Chaque classe est équipée d’un vidéoprojecteur. »

Démonstration quelques minutes plus tard dans la classe de Marcela, prof de SVT. La carte des Coudreaux apparaît sur le tableau, l’enseignant d’histoire-géo reprend la visite depuis les images satellites. Marcela enseigne dans ce collège depuis neuf ans. Elle porte un tee-shirt blanc sur lequel un cœur tracé en rouge réunit Corot et ZEP. Comme son collègue, elle vit « une histoire d’amour avec Corot » . Comme son collègue, la trentaine passée, elle ne se voit pas repartir de zéro dans un autre établissement prioritaire. « Quand je partirai, ce sera pour un lycée. » **

« Le déclassement vient briser une équipe solide »

Depuis qu’ils ont appris qu’ils allaient « sortir de ZEP » , plus de la moitié des enseignants de l’établissement envisagent une mutation rapide. Et pour cause : enseigner en ZEP permet de gagner en quelques années autant des points nécessaires à la mutation de son choix qu’en quarante ans de carrière. Mais il faut les faire valoir dans les trois ans. « Le déclassement vient briser une équipe solide, stable, et des années de travail , s’offusque Marcela . D’anciens élèves viennent nous montrer leur diplôme du bac ! Les dessins sur ma porte, ce n’est pas moi qui les ai posés » , lâche-t-elle.

« Ici, les collègues sont des amis, on a emmené des élèves ensemble dans le désert, ça crée des liens » , renchérit Jean-Riad, montrant les photos de ce voyage en Tunisie sur le mur de sa classe. D’une armoire, il sort plusieurs exemplaires du Petit Corot, le journal du collège, entièrement réalisé par les élèves sur des heures d’ateliers pédagogiques, une de ses fiertés.

Camille-Corot a été rénové vers 2000. Les locaux sont spacieux, en bon état, prévus pour accueillir 300 élèves supplémentaires. Mais, si l’établissement est grand, certaines classes sont petites. « Mes élèves assis près de la porte se la prennent quand elle s’ouvre , grince Ersilia, jeune prof de français. Je ne sais pas où je pourrais en mettre cinq ou six de plus. » Arrivée en qualité de stagiaire, Ersilia est restée à Corot « pour l’équipe » . Le démantèlement l’inquiète : sans le dispositif ZEP, les nouveaux enseignants ne resteront pas dans un établissement aussi difficile. Or, d’après ses aînés, il faut au moins un an pour s’implanter.

Autre problème : pour l’heure, 70 % des élèves viennent des Coudreaux, 30 % du centre-ville, via le ramassage scolaire. Mais les parents de classe moyenne qui scolarisent leurs enfants à Corot parce qu’il est en ZEP risquent de les mettre ailleurs. Exit aussi bon nombre de -projets -pédagogiques, comme les travaux en demi-groupes. « À trente élèves, plus question de faire des manipulations » , anticipe Marcela.

L’ancien maire PS, Jean-Paul Planchou, époux de Nicole Bricq, une proche de François Hollande, a perdu les municipales en raison d’un « vote sanction contre le Président » , au bénéfice de Brise Rabaste. Ce jeune maire UMP a appelé le rectorat au sujet de la situation de Corot. Le 6 décembre, jour où 300 personnes se sont rassemblées devant la mairie pour défendre la ZEP, il a reçu une délégation et assuré qu’il allait écrire à la ministre.

Société
Temps de lecture : 7 minutes